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Collectif FAIR[E] « La direction d’un CCN, c’est une course de fond à la vitesse d’un sprint. »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 4 juillet 2019

En 2019, le collectif FAIR[E] prend la direction du Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne, marquant une rupture dans l’histoire des CCN : pour la première fois, une gouvernance partagée, portée par des artistes issus du hip-hop et, prend place au cœur de l’institution. Riche de parcours singuliers, autodidactes, ancrés dans le réel et l’engagement collectif, FAIR[E] propose une nouvelle manière de faire : horizontale, expérimentale, ouverte. Dans cet entretien, les membres du collectif reviennent sur leur vision d’un CCN de demain, les défis d’une telle aventure, et les enjeux essentiels qu’ils souhaitent porter pour la danse aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager à la tête d’un CCN ?

Notre candidature est née d’une utopie partagée. Il s’agissait pour nous de décaler nos regards, de questionner nos positions, de sortir de nos zones de confort pour rendre évident ce que nous sommes : un collectif d’artistes aux parcours multiples, portés par l’autodidactie et nourris par les frottements esthétiques. Nous avons toujours travaillé à la frontière entre les langages, entre l’institution et l’underground, entre le plateau et la rue. Riches de nos différences et de nos expériences internationales, nous avons choisi de faire converger nos forces vers un même lieu, un même projet, et de nous inscrire dans la continuité de l’impulsion donnée par Boris Charmatz. Il a transformé le CCNRB en un espace de recherche ouvert, où l’expérimentation était possible et désirée. Notre volonté était d’en prolonger l’énergie, avec nos propres langages et nos propres convictions.

Quels sont les plus grands défis lorsqu’on dirige un CCN ?

La direction d’un CCN, c’est une course de fond à la vitesse d’un sprint. Il faut sans cesse jongler entre les ambitions artistiques du projet et les contraintes structurelles d’une institution labellisée. Notre défi, c’est de penser un CCN à notre image : un espace qui accueille la pluralité des pratiques et qui repense la gouvernance. Il nous semble essentiel aujourd’hui de réinterroger les métiers, les statuts, les hiérarchies, pour inventer un fonctionnement plus horizontal, plus inclusif, plus juste. Il ne s’agit pas de gommer les différences de rôles ou de compétences, mais de les reconnaître pleinement et de leur donner de la valeur au sein d’un projet artistique global, partagé.

Quelles sont les particularités de votre CCN ? Quelles sont ses ambitions ?

Notre première singularité, c’est d’être un collectif à la direction. Six entités artistiques aux langages différents, unies dans une dynamique commune. Cela implique de travailler dans la discussion permanente, dans l’écoute et dans la mise en commun des visions. Ce modèle nous permet aussi d’embrasser une grande variété d’écritures chorégraphiques, de développer un projet à la fois exigeant, ancré dans la réalité du territoire et pleinement ouvert sur le monde. Le CCNRB est pour nous un laboratoire vivant où cohabitent création, transmission, production et accompagnement. Nous défendons une approche transversale de la danse, croisée avec d’autres disciplines, et un lieu où le lien entre artistes, publics et habitant·e·s est pensé comme un enjeu central. Il s’agit de créer des ponts, des circulations, et de favoriser l’accès à la pratique et à la création, dans ou hors les murs.

Sur le plan artistique, quelles dynamiques souhaitez-vous donner au CCNRB ?

Nous imaginons un lieu poreux, en dialogue constant avec ce qui l’entoure. Un espace capable de faire le lien entre le centre et les marges, de repérer les besoins des artistes comme ceux des publics. Notre volonté est de soutenir la jeune création, de donner une place centrale aux artistes émergent·e·s, et de favoriser les coopérations pour faire émerger des projets collectifs. Ce que nous défendons, c’est une dynamique artistique à la fois forte et fluide : une aventure partagée, émancipatrice, où se transmettent des savoir-faire, des gestes, des manières d’être. Nous voulons produire, accompagner, diffuser, mais aussi faire circuler les outils et les expériences.

Comment l’institution des CCN a-t-elle évolué depuis sa création dans les années 80 ?

Les années 80 ont été une période fondatrice : la création du label CCN a entériné la reconnaissance institutionnelle de la danse contemporaine. Les décennies suivantes ont vu le développement de projets centrés sur le rayonnement d’un artiste, à l’échelle nationale et internationale, avec une priorité donnée à la production. Aujourd’hui, les missions des CCN se sont élargies : lien avec les publics, action culturelle, formation, accompagnement de la création locale, insertion, mutualisation. Il ne s’agit plus uniquement de produire des spectacles, mais d’inventer un modèle culturel équilibré, solidaire et vivant, connecté à son écosystème.

Quels enjeux de la danse voulez-vous défendre aujourd’hui ?

Nous portons une danse issue de l’autodidactie, ouverte, universelle. Une danse qui puise dans l’expérience directe, dans le corps et dans l’instant, et qui permet le dialogue avec d’autres disciplines, avec la société, avec le monde. Pour nous, la danse est un espace d’engagement, un geste politique, une forme de relation à l’autre. L’enjeu, aujourd’hui, est de faire exister une création chorégraphique plurielle, en phase avec les réalités sociales et culturelles, et de défendre toutes les esthétiques qui la traversent.

Photo © Yann Peucat