Photo Maelle Poésy

Maëlle Poésy, Candide

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 3 septembre 2015

Avec Candide, Maëlle Poésy et Kevin Keiss adaptent librement le conte philosophique de Voltaire en une fresque initiatique effervescente. En mêlant narration, travestissement, humour et critique, ils interrogent le désenchantement contemporain sans renoncer à l’utopie. Au plateau, cinq comédiens incarnent une vingtaine de rôles et construisent, à vue, les mondes traversés par le héros. Un théâtre mobile, joyeux et réflexif, qui questionne la place du récit et la capacité de l’imaginaire à résister au réel.

Peux-tu revenir sur la genèse de Candide ?

L’histoire de Candide portait déjà en germe des motifs que j’avais commencé à creuser dans mes deux premières créations : la quête d’identité, la confrontation à l’absurdité du monde, le passage à une autonomie de pensée.J’avais envie d’un projet plus libre qu’un texte dramatique figé, un matériau mouvant, adaptable en répétition.Avec Kevin Keiss, dramaturge et auteur, avec qui j’avais déjà travaillé sur Purgatoire, on a d’abord exploré plusieurs textes. Mais très vite, l’idée de fabriquer notre propre langue de plateau nous a séduits. Ce qui nous a guidés, c’est ce que le conte permet : un espace de jeu total. Candide est une matière fluide, ouverte à la transposition, à l’ironie, à la légèreté comme à la cruauté. En restant fidèles à l’esprit de Voltaire, nous avons opéré des coupes, déplacé des priorités. La question du voyage nous est apparue comme le véritable fil rouge.

Comment s’est construite l’adaptation avec Kevin Keiss ?

Avant même de passer au plateau, nous avons longuement échangé sur ce qui nous parlait dans le texte : les thèmes, les figures, les paradoxes. À partir de là, Kevin a écrit, non pas une traduction, mais une réinvention : un texte dans la veine de Voltaire, accessible, vivant. Le parti pris fort, c’est que Candide s’exprime peu par affirmations : il interroge, doute, avance à l’aveugle. Ma mise en scène s’est pensée très tôt, en parallèle de l’écriture : construction en flash-back, ruptures de rythme, surgissements presque magiques. Nous avons identifié trois grandes zones dramaturgiques : l’Europe et sa violence religieuse et politique, l’Amérique latine et la fuite amoureuse, puis un retour final où le monde se referme, comme s’il fallait désormais composer. À chaque étape, le regard de Candide sert de prisme.

Les comédiens jouent plusieurs rôles et construisent eux-mêmes le dispositif scénique. Pourquoi ce choix ?

Dans le prologue, les cinq comédiens se partagent le récit. Puis, peu à peu, la distribution éclate : certains incarnent des rôles, d’autres façonnent les décors en direct. On construit le monde en le jouant. Seul Candide est joué par le même acteur, ce qui fait de lui un centre immobile dans un monde en perpétuel changement. Il ne contrôle rien : il observe, il traverse. Et c’est autour de lui que le réel se tord, s’effondre, se reconstruit. Le spectateur, tout en étant lucide, se laisse embarquer comme lui dans cette traversée. Les quatre autres comédiens incarnent une galerie de figures : femmes, hommes, morts-vivants… Ce tourbillon reflète toute l’humanité que Candide croise, et qui le façonne. J’ai tenu à ce que Pangloss soit joué par une jeune femme, Roxane Palazzotto. Cela déplace le stéréotype du vieux sage et renouvelle l’écoute du discours philosophique. La vieille servante est incarnée par Marc Lamigeon, ce qui rend son récit à la fois burlesque et poignant. Ce jeu sur les genres et les âges ouvre une écoute plus libre, plus vivante. Et surtout, il rappelle que sur scène, on est ce que l’on dit être.

Comment as-tu pensé l’espace ?

La scène est conçue comme un espace en transformation constante. Ce n’est pas un décor fixe, mais un terrain mouvant que les acteurs modèlent au fur et à mesure du récit. Une pancarte suffit à traverser un continent. Un rideau, et nous passons de Lisbonne à Buenos Aires. Ce minimalisme assumé active l’imaginaire du spectateur, comme dans un conte, on y croit parce qu’on le raconte.

Ta compagnie regroupe des anciens élèves du TNS. Quel rôle joue cette formation dans votre démarche collective ?

Le TNS nous a offert un espace d’exigence, une culture de travail intense. Mais ce qui nous réunit, ce sont surtout des affinités humaines et artistiques : l’humour, l’écoute, le goût du jeu. Tous ne viennent pas du TNS. Mais ceux qui y sont passés partagent une même rigueur : une spécialisation dans leur domaine, mais aussi une capacité à comprendre l’ensemble du projet. Dans notre compagnie, les décisions se prennent collectivement, via des réunions où tous les regards nourrissent la cohérence du spectacle. C’est cette horizontalité du travail qui nous permet de construire des formes collectives fortes.

Vu au Théâtre de la Cité internationale. Photo © DR