Photo Boboourg La Reine Kanal Bruxelles © Ph. Lebruman 2018 DSC2998

La Compagnie du Zerep : anatomie d’une troupe hors norme

Par Wilson Le Personnic

Publié le 24 mai 2018

Depuis bientôt vingt ans, Sophie Perez et Xavier Boussiron, officiant sous le nom de La Compagnie du Zerep, se forgent l’image d’artistes facétieux derrière laquelle se devine en réalité deux érudits attendris. Avec un esprit séditieux et l’intention de faire voler en éclats la sclérose du champ théâtral, le duo a constitué un large répertoire d’œuvres aux formes variées. Invitée dans le cadre de la préfiguration de Kanal-Centre Pompidou à Bruxelles, la compagnie présente pendant trois week-ends de nombreuses performances de leur propre cru et invite d’autres artistes compagnons à présenter leur travail. Dans l’agitation de cette intense programmation, les deux artistes fument une cigarette et boivent un dernier café dans une loge aménagée avant de commencer le marathon de la journée. C’est dans ce décor baroque débordant de maquillages et de costumes que nous les avons rencontrés.

Intitulée Boboourg-la-Reine, cette occupation fait suite à leur première invitation au Centre Pompidou à Paris, dans le cadre du Nouveau Festival en 2009. Sur le même modèle, l’événement se déroule dans l’esprit d’une « baraque foraine », décrit Xavier Boussiron. Dans l’immensité du premier étage de cet ancien garage Citroën, une grande boîte, au-dessus de laquelle trône un gigantesque masque au nez protubérant, accueille les visiteurs hagards. Cette boîte dissimule une petite scène polyvalente qui abrite certaines des performances devant un petit parterre de gradins. À quelques mètres de là, un autre décor accueille d’autres rendez-vous : une grande scène aménagée pour l’occasion, dont le sol peint renvoie au tableau La Clé de verre de Magritte, à côté de laquelle trône une montagne rocailleuse empruntée au décor de leur pièce Gombrowiczshow. Des coulisses à vue entreposent les reliques d’anciens spectacles : des masses dorées issues du décor d’Enjambe Charles (en référence à l’installation La Destruction du Père de Louise Bourgeois) ou encore le faux cadavre d’un cheval éventré, tout droit sorti de leur western loufoque Prélude à l’agonie.

Programmés pour la toute première fois en Belgique, Sophie Perez et Xavier Boussiron y présentent une sélection représentative de La Compagnie du Zerep : le bordélique Faire Mettre, le coquin Écarte la gardine, tu verras le proscenium, ou encore le grivois Séance de nu d’après nature humaine dans laquelle Stéphane Roger et Marlène Saldana posent entièrement nus et grimés, au milieu de chevalets à dessin, tandis que les visiteurs sont invités à croquer leur portrait au son d’une playlist allant de Joan Baez à Alan Stivell. Cette programmation n’est qu’un mince reflet d’un corpus hypertrophié. Avec plus d’une quarantaine de performances au compteur, la compagnie continue d’expérimenter des formes diverses, produites aussi bien par des scènes de danse, de théâtre que des centres d’art, poussant toujours un peu plus loin les limites des genres et des catégories. « Il n’y a pas de système d’échelle, de références nobles ou populaires, tout est au même niveau au Zerep », rappelle Sophie Perez, avant de préciser : « Le Zerep, c’est l’intime, le spectacle, l’art, l’héritage personnel, le sentimentalisme, la trouille, la vengeance, la revanche, c’est un drôle de truc généreux mais qui reste fermé comme une huître, une chose constituée de plein de tas de choses antinomiques. »

Interprétée par de jeunes danseurs belges castés sur place, leur dernière performance Y manque plus que l’orchestre ! se présente comme un intense défilé mené par une quinzaine de performeurs qui n’ont de cesse de changer de costumes, dans une course délirante au déguisement. « Le défilé, c’est quelque chose qu’on faisait régulièrement en début de répétition : on mettait de la musique à fond, les costumes sélectionnés pour le spectacle étaient là, les interprètes se changeaient, cherchaient des figures, des histoires… Puis, au fil du temps, c’est devenu un exercice pédagogique pour des workshops, une manière de rentrer dans la matière du Zerep. » Composée d’une foule de silhouettes affublées de costumes et de masques issus d’anciens spectacles, cette performance peut en effet s’envisager comme une rétrospective tant elle met en scène les scories, les fantômes diffractés de toutes les pièces du Zerep.

Mais le Zerep, c’est avant tout une joyeuse troupe de comédiens fidèles, gouailleurs et charismatiques. Le noyau dur de la compagnie est composé de Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Marlène Saldana et Gilles Gaston-Dreyfus, des interprètes attendus et retrouvés à chaque nouvel opus. « Tout se construit toujours avec eux, tout le temps », soulignent les deux metteurs en scène, avant d’ajouter : « Ce ne sont pas des comédiens, ce sont de vrais artistes, ils auraient pu être peintres, poètes, musiciens… Ils ont chacun un univers bien à eux, une poésie personnelle. » Xavier Boussiron ose la comparaison avec les légendaires membres des Beatles : « Il y a John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Quand ils sortent du groupe, ce n’est plus pareil, ce ne sont plus les Beatles. Le Zerep, c’est un peu la même chose. Les spectateurs viennent voir Marlène, Sophie, Roger, Gilles… » Et Sophie Perez de renchérir : « Je suis toujours la première à rire devant leurs actions et leurs blagues. C’est comme de la came, ma came à moi, je suis un peu comme Ludwig II de Bavière, qui faisait venir des comédiens dans son château et qui les harassait. » Des bêtes de scène, donc. « Ensemble, ils forment une sorte de poudre noire », conclut Xavier Boussiron, poudre à canon au vitriol avec laquelle le duo fait exploser les cadres avec toujours autant de jubilation.

Boboourg-la-Reine, programme conçu par Sophie Perez et Xavier Boussiron, vu à Kanal/Centre Pompidou de Bruxelles.
Photo © Philippe Lebruman.