Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 24 février 2015
Comment traverser les différentes couches qui composent nos corps ? Comment inventer un rituel capable de conjuguer passé, présent et futur ? Dans Blanc, Vania Vaneau explore les états de transformation en travaillant sur les strates corporelles, les matières, les émotions et les imaginaires. S’inspirant de rituels anciens, de pratiques de transe, de voyages et d’archives culturelles, la chorégraphe développe un solo organique, traversé par des figures mouvantes et des forces invisibles. Entre réel et hallucination, entre archaïque et contemporain, Blanc déplie le corps comme un paysage multiple, un lieu de passage entre différentes mémoires et temporalités.
Blanc est ta première création personnelle. Peux-tu retracer la genèse de ce solo ?
Je voulais créer une pièce profondément organique, qui donne accès à un état de vertige, de perte de contrôle et de relâchement de la volonté rationnelle. À partir de ce point de départ, j’ai entamé des recherches sur la transe, les rituels, les états modifiés de conscience. De là, j’ai découvert de nombreux articles de neurosciences portant sur la plasticité du cerveau et sur les potentiels de perception qui restent largement inexplorés dans notre quotidien.
Comment as-tu relié toutes ces pistes dans ton processus de création ?
Toutes ces explorations se sont croisées naturellement avec la question du théâtre : le lieu de la scène, le rôle de l’acteur ou du danseur, la notion de transformation inhérente à l’acte même de représenter. La figure du chaman m’a particulièrement intéressée : celle de l’interprète comme médium, capable d’incarner des forces humaines, naturelles ou animales. Pendant la création des costumes, une autre dimension s’est imposée : celle du geste artisanal, manuel, presque primitif, comme un écho à l’art brut. Une manière de reconnecter le geste artistique à quelque chose d’essentiel, d’archaïque.
Quelles réflexions ont traversé le processus de Blanc ?
Blanc est une pièce sur les strates : celles du corps, de ses matières, de ses histoires. J’ai envisagé cette traversée comme une forme d’archéologie corporelle : déplier les couches visibles et invisibles du corps pour les déployer dans l’espace. La chorégraphie se construit autour de deux mouvements inverses : une transformation intérieure, qui part du corps lui-même, de ses cellules, de ses frictions internes ; et une transformation extérieure, à travers les ornements, les parures, les peintures corporelles, qui induisent de nouveaux états et pouvoirs. Je me suis inspirée des réflexions de Michel Foucault dans Le Corps utopique, où il décrit cette tension entre le corps périssable et l’aspiration à l’infini.
Comment as-tu abordé le travail autour de la transformation ?
Les figures qui apparaissent peuvent être perçues à la fois comme des présences réelles et comme des hallucinations intérieures. J’ai beaucoup travaillé autour du visage et du masque, autour des couleurs, des émotions, en tant que paysages sensibles, organiques, dramatiques, qui nous traversent et nous transforment sans cesse.
Blanc semble puiser dans tes racines, ta culture personnelle. Peut-on lire cette création comme une forme d’autoportrait ?
À l’origine, Blanc était pensé comme un solo, avant que le guitariste Simon Dijoud ne rejoigne le projet en cours de création. Je ne voulais pas que cela parle de « moi » au sens biographique, mais le sujet même de la recherche m’a amenée à explorer les questions d’identité, de pluralité, de l’individu comme foule en mouvement — un peu comme la lumière blanche contient toutes les couleurs. Naturellement, je me suis tournée vers des rituels et des célébrations afro-amérindo-brésiliens. Je me suis confrontée à une question très présente au Brésil et dans mon propre parcours d’immigrante en Europe : comment les cultures se rencontrent, s’incorporent, se transforment. Dans les années 1920, au Brésil, le mouvement anthropophagique a proposé l’idée de « manger » les cultures dominantes pour en créer d’autres, sans s’y soumettre. Cette notion d’absorption, de transformation, m’habite profondément. Les Africains réduits en esclavage, arrivés au Brésil, ont dû camoufler leurs croyances dans la culture chrétienne coloniale pour les préserver. De la même manière, en tant que Brésilienne, fille d’un Européen et d’une Brésilienne, vivant aujourd’hui en Europe, je porte en moi des transformations successives. Cet aller-retour a mis en lumière ma condition de personne blanche, urbaine, occidentale, cette enveloppe, cet environnement qui me constituent.
Vu au festival Extension Sauvage. Photo DR.
Pol Pi : Dialoguer avec Dore Hoyer
Entretien
De Beyoncé à Maya Deren : la scène comme machine à rêver
Entretien
Jonas Chéreau, Temps de Baleine
Entretien
Betty Tchomanga, Histoire(s) décoloniale(s)
Entretien
Marion Muzac, Le Petit B
Entretien
We Are Still Watching : le théâtre entre les mains du public
Entretien
Amanda Piña : Danser contre l’effacement de l’histoire
Entretien
Old Masters : Faire maison commune avec l’imaginaire
Entretien