Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 26 novembre 2014
Créé en 2012 avec et pour la danseuse Kaori Ito, Plexus s’inscrit dans une lignée de portraits scéniques initiée par le metteur en scène Aurélien Bory, où l’art du mouvement se mêle à une réflexion sur l’espace, l’intime et le symbolisme. Dans ce solo visuel et profondément physique, Kaori Ito évolue au cœur d’un dispositif optique fascinant, tissé de milliers de fils de nylon, créant ainsi une toile vivante entre le corps de la danseuse et son environnement.
Peux-tu retracer la genèse de ta collaboration avec Kaori Ito ?
J’ai lancé une série de portraits de femmes en 2008 avec Questcequetudeviens?, consacré à Stéphanie Fuster, et j’ai proposé à Kaori Ito d’être le second portrait de cette série. Nous nous étions rencontrés en 2008, grâce à James Thierrée, et Kaori avait exprimé son désir de se rapprocher de mon travail. Nous avons d’abord beaucoup discuté, souvent dans des cafés, autour de son parcours, son rapport au Japon qu’elle avait quitté. Ces échanges personnels ont été la première matière du projet. Je me suis aussi nourri de textes qui m’accompagnent depuis longtemps, comme Le Théâtre de marionnettes de Kleist ou L’Éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki. Avant d’entrer en studio, j’ai laissé ce terreau mûrir longtemps. Une lente sédimentation m’était nécessaire pour pouvoir déclencher le travail.
Comment as- imaginé la structure scénique dans laquelle évolue Kaori Ito ?
Au tout début des répétitions, j’avais fait réaliser une marionnette à fils à l’effigie de Kaori. « Voici ton professeur de danse », lui ai-je lancé en lui présentant ce double grandeur nature. Pendant plusieurs jours, Kaori a observé, imité, dialogué avec cette marionnette. Puis j’ai décidé de l’effacer, de ne garder que les fils, ces fils devenus omniprésents, envahissant l’espace de toute part. De cette trame est né un environnement vivant, mouvant, dans lequel Kaori engage une danse avec l’espace lui-même.
Comment la chorégraphie a-t-elle pris forme ? Avais-tu déjà une vision claire avant de travailler avec le décor ?
Je savais que Kaori avait une danse rapide, vive, presque irrépressible. J’ai eu l’intuition que la ralentir, l’entraver légèrement, pourrait ouvrir d’autres dimensions à son geste. Je voulais l’amener à traverser un espace pratiquement impossible à danser, un espace de résistance pour celle dont l’existence même est tissée avec la danse. Tout le processus s’est développé à partir d’improvisations dans ce filet de fils tendus. Progressivement, une grammaire s’est dessinée, où Kaori a trouvé ses propres résonances. Mon rôle était alors d’écouter, de guetter l’étendue de ses possibles, puis de construire une dramaturgie qui dépasse le seul dispositif : un voyage du corps intérieur vers une dissolution dans l’espace extérieur, entre naissance et disparition.
La scénographie de Plexus évoque beaucoup l’art cinétique…
Oui. Beaucoup pensent à Soto en voyant Plexus. J’ai grandi entouré de références à l’optic art et à l’art cinétique.Mon père était peintre, il y avait chez nous beaucoup de livres sur ces courants artistiques. Dans mes créations précédentes, comme Plus ou moins l’infini en 2005, ces influences étaient déjà présentes. Finalement, je crois que d’une manière ou d’une autre, je cherche toujours à faire danser l’espace.
Chacune de vos pièces semble être une rencontre avec un univers, une personnalité. Quelles particularités de Kaori Ito souhaitiez-vous révéler dans Plexus ?
Au départ, je n’avais aucune idée précise. Je suis parti de son corps, de son histoire, sans autre projet que de lui offrir un espace pour surgir. Le dispositif a été littéralement taillé sur mesure. Un jour, Kaori m’a confié que danser au milieu de ces fils, c’était comme si elle avait toujours dansé là. Ce type de travail est un processus long, fragile, où je ne sais jamais si quelque chose émergera. Je voulais simplement lancer ce processus avec Kaori, dans l’espoir que surgisse quelque chose d’inattendu, d’invisible au départ. C’est cela, pour moi, le principe du portrait : aller chercher la part d’ombre et de mystère qui n’est jamais totalement dévoilée.
Photo Aglae Bory.
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