Par Wilson Le Personnic
Publié le 7 avril 2025
Entretien avec Ikue Nakagawa
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Avril 2025
Peux-tu retracer la genèse et l’histoire de Tamanegi ?
Le projet Tamanegi, qui signifie « oignon » en japonais, est né d’un dessin que j’ai réalisé en pensant à mon père, alors gravement malade, et à ma famille réunie autour de lui. Durant ce moment difficile, j’ai imaginé notre famille comme un oignon : une structure faite de couches concentriques, issues d’une même racine, grandissant dans une même direction. Chaque couche, tout en s’éloignant du cœur, le protège, comme les générations dans une famille, où les plus anciens veillent sur les plus jeunes. La peau fine de l’oignon, qui devient plus fragile en grossissant, m’a aussi rappelé la vulnérabilité que l’on acquiert en vieillissant. Après la mort de mon père, j’ai ressenti l’urgence de cette double place : être encore la fille de ma mère, tout en étant déjà la mère de mes enfants. C’est de cette tension, difficile à formuler, qu’est née la pièce.
Quelles idées ou intuitions ont guidé le développement de cette pièce ?
Dans cette pièce, j’ai choisi de mettre en lumière l’amour, plus que les moments douloureux. Une notion m’a particulièrement guidée dans ce travail : 見守る (Mimamoru). C’est un mot que je trouve très difficile à traduire en français. Il est composé de deux kanji : 見る (miru) qui signifie « regarder », et 守る (mamoru), «protéger ». Mimamoru, c’est une forme d’attention silencieuse, presque intangible, mais pourtant très réelle. Une présence discrète, invisible, dont on ne peut jamais être certain qu’elle est là… et qui, pourtant, nous construit. C’est exactement ce type de lien, à la fois fragile et essentiel, qui façonne les relations familiales. C’est ce lien à la fois ténu et fondamental que j’ai cherché à traduire à travers la matière, le geste, l’espace. Donner corps à l’indicible, pour qu’il puisse être ressenti, partagé.
Comment as-tu initié le processus de création ?
Comme pour chacun de mes projets, c’est par le dessin que j’ai commencé. C’est ma manière d’entrer dans un processus de création, de faire émerger des intuitions. Les dessins que j’avais réalisés et apportés en studio représentaient les membres de ma famille. Je me suis demandé comment transposer ces figures sur scène de la manière la plus juste et l’idée de figures grandeur nature s’est imposée. Il me semblait plus juste de traduire mes dessins par des présences symboliques plutôt que par des interprètes en chair et en os. J’ai donc fait appel à l’artiste plasticienne Val Macé pour m’accompagner dans la fabrication de ces figures. Certains visages et mains ont été moulés directement à partir des corps des personnes représentées. J’ai décidé d’en faire non pas des copies réalistes, mais des ombres, des silhouettes, que j’ai habillées avec les véritables vêtements des personnes de ma famille. C’était pour moi suffisant pour que je sente leur présence. Une fois ces figures achevées, le travail en studio a pu commencer. J’ai d’abord travaillé avec Lorenzo De Angelis sur la dramaturgie et la danse, puis avec Octavio Mas pour la lumière. Enfin, j’ai invité Patrick Belmont à créer la musique.
Comment as-tu abordé l’écriture chorégraphique dans ce dialogue entre ton corps et les effigies ?
Avec Lorenzo, nous avons longuement exploré les possibilités offertes par les effigies, et réfléchi à la manière dont je pouvais coexister avec elles sur scène. Ces figures sont à la fois très fragiles et très lourdes, et leurs articulations offrent peu d’amplitude de mouvement. La chorégraphie s’est donc construite autour de leur positionnement dans l’espace, des distances entre elles et moi, et des gestes qui naissent autour de ces présences silencieuses. Je crois profondément que les gestes peuvent exprimer des pensées, des émotions. J’ai donc accordé une attention extrême à chaque détail : même l’angle d’un visage pouvait transformer le sens d’une image. Ce n’était pas simple de trouver ma propre place dans cet espace. Les effigies ont une présence très forte, presque écrasante. Ce qui a permis d’équilibrer cela, je pense, c’est que ma danse représentait quelque chose d’invisible dans la famille.
Tamanegi, vu au Regard du Cygne, en partenariat avec Danse Dense et le festival Playground.
Le 27 mai 2025, Le Triangle, Rennes, en partenariat avec Danse à tous les étages
Les 11 et 12 juin 2025, Festival Tours d’Horizons, CCNT, Tours
Le 26 juin 2025, Le Manège à Reims, en partenariat avec le Laboratoire chorégraphique
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