Par Wilson Le Personnic
Publié le 8 février 2025
Entretien avec Ioanna Paraskevopoulou
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Février 2025
Ioanna, ta recherche chorégraphique se focalise actuellement autour de la relation entre les médias audiovisuels et le mouvement. Peux-tu partager certaines réflexions qui traversent ce travail ?
Je m’intéresse à l’interaction entre l’image, le son et le mouvement dans le but de créer un langage personnel à travers lequel je peux me sentir honnête. Mon intention est d’amener différents types de matériaux sur scène et d’expérimenter leur son et leur lien avec les corps. J’ai toujours été attirée par les relations cachées, les processus invisibles, en coulisses, parce que je pense qu’ils donnent de la liberté, de l’espace et de l’inspiration. Ma pratique se concentre également sur les processus artisanaux à travers l’utilisation d’objets à la recherche de simplicité, d’émotions et d’une relation plus directe entre les interprètes et le public. J’essaie de trouver un état sur scène où mes sens sont mis en éveil sans trop réfléchir. J’ai envie de continuer d’explorer ce médium, d’expérimenter avec cette technique et de rendre visible ce processus sur scène.
Ta première pièce MOS s’inspire du bruitage et de la technique Foley. Peux-tu présenter cette technique ?
J’ai découvert le bruitage et le travail des artistes bruiteurs pendant mes études en arts audiovisuels, durant un cours de montage et les processus de post-production au cinéma. En anglais, le terme bruitage se dit «Foley», et d’ailleurs, les spécialistes du bruitage sont bien souvent appelés les «Foley artists», en référence à Jack Foley (1891-1967), un des pionniers du bruitage au cinéma. J’ai été fasciné par sa technique, qui consiste à recréer en studio des effets sonores à partir d’accessoires peu coûteux. Par exemple, les premiers bruiteurs utilisaient des coquilles de noix de coco pour reproduire le son des chevaux en train de galoper, froissaient du papier d’aluminium pour reproduire le crépitement du feu, faisaient frire du bacon pour reproduire le son de la pluie, etc. J’étais fasciné par ce processus invisible qui produit des relations irréalistes.
D’un point de vue chorégraphique, comment ton intérêt s’est-il focalisé sur la relation entre le son, l’image et le geste ?
Découvrir le travail des «Foley artists» à éveillé quelque chose de nouveau en moi. C’était une période où j’avais besoin de changer quelque chose dans ma façon d’aborder la danse, dans la manière de communiquer à travers elle et de m’exprimer avec mon corps. La séparation entre le concept et le contenu, l’évasion de l’imagination et l’invisible sont les principaux éléments qui m’ont intéressé dans la technique Foley. J’ai également aimé la simplicité des corps : il n’y a rien de plus dans le mouvement que le geste qui exécute le son. Paradoxalement, je n’ai jamais été enclin à utiliser des objets, mais la pureté de la fonction de l’image et du son et l’immédiateté de l’effet sur les sens m’ont donné envie d’emprunter et d’expérimenter ce procédé. D’ailleurs, je ne sais pas si je me serais lancé dans la création si je n’avais pas été autant stimulée par la rencontre avec cette technique. Explorer le son à travers cet imaginaire m’a réellement ouvert un nouvel espace de recherche et d’expérimentation.
Comment as-tu initié le travail de recherche pour MOS ?
J’ai commencé par lire et regarder des documentaires sur la technique Foley… Ce que je trouve passionnant avec cette technique, c’est qu’au fil des années et des pratiquants, un glossaire de sons de plus en plus large et éclectique s’est largement diffusé à travers les professionnels du bruitage. Chaque bruiteur s’approprie les techniques de ces prédécesseurs et en inventent d’autres. J’ai donc cherché et collecté dans un premier temps des sons que je trouvais intéressant puis j’ai commencé à travailler seule en studio. Après plusieurs jours d’expérimentation, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir continuer seule et qu’il fallait être minimum deux sur scène, à la fois pour des raisons pratiques (beaucoup de tâches et d’objets sur le plateau) et pour rechercher des relations et des images plus complexes. C’est à ce moment que le danseur Georgios Kotsifakis est arrivé dans le processus…
Peux-tu donner un aperçu du processus de recherche avec Georgios ?
J’avais envie de retrouver la même naïveté et fascination que lorsque j’ai découvert le travail des artistes bruiteurs. Nous avons expérimenté ensemble, parfois instinctivement, parfois en essayant de reproduire des techniques avec des objets que j’avais pu voir dans les documentaires : des surfaces, des chaussures, des microphones, etc. Ces différentes expérimentations nous ont aussi conduit à considérer une nouvelle forme de composition chorégraphique, en combinant le corps avec des matériaux inattendus. Notre intention était de transformer la technique en émotion, d’activer d’autres sens des spectateur·ices et de rendre visible des images absentes tout en laissant l’espace nécessaire pour qu’ils puissent faire leurs propres interprétations.
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