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2024.09 Dovydas Strimaitis, Hairy

Par Wilson Le Personnic

Publié le 2 septembre 2024

Entretien avec Dovydas Strimaitis
Propos recueillis par Wilson le Personnic
Septembre 2024

Dovydas, Hairy résulte d’une envie de faire une pièce autour des cheveux. Peux-tu partager certaines des réflexions qui sont au cœur de ce projet ?

Au départ, ce projet était un exercice purement formel : créer une chorégraphie avec et pour des cheveux longs. Ce n’est qu’après que j’ai commencé à comprendre les enjeux conceptuels d’un tel exercice. Comment contrôler l’incontrôlable ? Nous n’avons pas de muscles qui peuvent contrôler directement nos cheveux, les déplacer sans les toucher reste une tâche difficile car il faut bouger consciemment d’autres parties du corps pour transférer l’élan aux cheveux. Et en même temps, c’est impossible de ne pas bouger nos cheveux lorsque nous dansons. L’indépendance des cheveux en tant que partie du corps a fait surgir d’autres réflexions, notamment le rapport que nous avons à nos propres limites physiques. Nous n’avons aucun contrôle sur eux, mais ils font bien partie de nous. Est-ce toujours moi si je ne peux pas les contrôler ? Et dans quelle mesure suis-je responsable des actes sur lesquels je n’ai aucun contrôle ? Etc.

Même si cette recherche est purement chorégraphique, les cheveux incarnent certains symboles et concepts philosophiques…

En effet, les cheveux sont l’un des principaux marqueurs d’identité d’une personne et nous apprennent sur la façon dont celle-ci se perçoit, sur la façon dont elle veut que les autres la voient, sur le groupe culturel auquel elle appartient, etc. J’ai moi-même de longs cheveux roux qui sont devenus un marqueur d’identité indélébile, presque une marque. Mais on peut également penser à des coiffures spécifiques de personnes appartenant à différentes sous-cultures, ou même à des personnes qui changent radicalement de coiffure après, par exemple, une rupture. De plus, les cheveux peuvent avoir différents symboles selon les contextes géographiques et historiques. Par exemple, dans la Grèce antique, les cheveux longs étaient un symbole de beauté pour les guerriers masculins. Plus tard, les cheveux sont devenus un signe distinctif pour les femmes célibataires, tandis que les femmes mariées devaient les attacher. Aujourd’hui encore, dans certaines cultures, montrer ses cheveux est un acte de lutte et de résistance. Même si les cheveux peuvent être des symboles forts, je me suis avant tout intéressé à leur qualité physique et leur potentiel chorégraphique. Je laisse le public faire sa propre interprétation.

L’histoire de la danse occupe toujours une place importante dans tes recherches. Peux-tu partager quelques références qui ont nourri l’imaginaire de ce projet ?

En effet, les cheveux occupent une place spéciale dans la danse. Dans la plupart des œuvres de ballet classique, les cheveux sont méticuleusement attachés et ne bougent pas : le chignon est réglementaire. D’un autre côté, si l’on pense à Isadora Duncan, ses cheveux étaient lâchés et aussi « libres » que ses mouvements et ses vêtements. Pour ce qui est des interprètes de la Judson Church, iels étaient « coiffés » sur scène de la même manière que dans leur vie quotidienne… Parmi les chorégraphes contemporains qui ont considéré les cheveux dans leur travail, on retrouve notamment Pina Bausch et Anna Teresa de Keersmaeker. Lorsque nous pensons à leurs œuvres, on les visualise automatiquement avec des danseuses aux cheveux longs, souvent en mouvement. Les cheveux longs suggèrent à la fois la sensualité et l’innocence, la force et la fragilité. Je me suis bien sûr intéressé à cet héritage lorsque j’ai commencé cette recherche, cependant, mon travail et mon intérêt se sont focalisés uniquement sur la maîtrise et le potentiel chorégraphique d’une masse de cheveux. 

Peux-tu revenir sur le processus chorégraphique de Hairy ?

Le processus chorégraphique de mes pièces repose toujours sur la construction et la composition spatiale et temporelle d’un mouvement de base. Pour Hairy, il s’agit d’un coup de fouet de cheveux latéral, qui se transforme en fouet circulaire, qui évolue en un headbang et enfin en une combinaison de headbang/fouet de cheveux. Une fois que les mouvements de base étaient définis, j’ai écrit toute la chorégraphie sur papier. C’est une fois que nous l’avons mis en pratique en studio que ça s’est corsé avec les danseur·euses. J’ai conscience que cela peut paraître cruel, mais lorsque j’écris une partition sur papier, je ne me soucie pas de réfléchir au préalable à la difficulté ou l’inorganicité d’une chorégraphie sur un corps. Je suis persuadé que cette méthode permet de créer des tensions stimulantes sur scène qui ne pourraient pas être présentes si nous restions dans la zone de confort de chaque interprète. Peu d’interprètes aujourd’hui sont prêts à travailler avec une telle proposition, j’ai donc beaucoup de chance d’avoir réuni un groupe d’artistes dévoués en qui j’ai une grande confiance et qui ressentent la même chose à mon égard.

Hairy s’est développé à travers différentes versions ces dernières années. Peux-tu retracer l’histoire de ce projet au long cours ?

Le premier opus, un trio de dix minutes, a été présenté en 2022 au Théâtre la Ville à Paris dans le cadre de Danse élargie. Participer à ce concours international a permis d’avoir une large visibilité et d’être invité en résidence aux Pays-Bas pour poursuivre cette recherche. J’avais prévu de travailler sur l’écriture d’un trio avec trois danseuses mais deux d’entre elles ont dû quitter le projet au bout de quelques jours car la pratique répétée de headbanging leur causait d’importants maux de tête et nausées. La pièce est donc devenue un solo. Cette nouvelle configuration a permis de me focaliser sur l’essence du projet. Ce solo s’appelle Hairy 2.0 et je continue à le danser aujourd’hui. En 2023, deux festivals en Lituanie et en Allemagne ont co-produit une nouvelle version de la pièce, Hairy 3.0, un trio de 30 minutes. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir eu tout ce temps et cet espace pour développer lentement le cadre conceptuel et physique de cette recherche qui s’est concrétisé au printemps 2024, avec la création de Hairy, un quatuor d’une heure. Je pense qu’il n’y aura pas de nouvelle version, à moins que, peut-être pour une occasion spéciale, nous imaginons une version XXL.

Le 19 avril 2024, Teatro Sperimentale
Le 30 avril 2024, New Baltic Dance
Le 12 mai 2024, One Dance festival
Les 29 et 30 septembre 2024, Théâtre de la Ville à Paris
Les 4 et 5 octobre 2024, Festival Actoral à Marseille
Le 15 octobre 2024, Espace 1789 à Saint-Ouen
Les 28 et 30 octobre 2024, Tanz in Bern
Le 22 Novembre 2024, Festival NeufNeuf à Toulouse
Les 28 et 29 novembre 2024, Maison de la Danse à Lyon