Par Wilson Le Personnic
Publié le 12 août 2024
Entretien avec Bianca Berger
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Août 2024
Bianca, tu développes une pratique qui combine danse et mathématiques. Comment est née cette recherche ?
Je pense que cette association s’est développée progressivement. Dès l’enfance, je m’intéressais à la fois à la danse et aux mathématiques – ou plus généralement aux sciences, mais sans chercher à créer des liens entre. Après le bac, j’ai suivi une formation de danse pendant un an dans un programme pré-professionnel. Cette expérience m’a énormément stimulé mais il me manquait « quelque chose » pour être pleinement comblée, sans doute l’aspect scientifique et académique que j’avais dans ma formation scientifique. L’année suivante, j’ai donc commencé une licence en mathématiques par correspondance à l’Université de Bologne en même temps qu’un programme intensif de danse à Reggio Emilia. C’est à cette période que j’ai commencé mes premières expérimentations, notamment avec un projet qui explorait le concept des vecteurs à travers la danse. J’ai ensuite continué à explorer le lien entre danse et mathématiques durant mes années de Bachelor en danse et chorégraphie à Copenhague, où j’ai eu le temps, le soutien et les outils pour développer cette recherche. C’est là que j’ai commencé à développer, observer et analyser mes processus artistiques.
Peux-tu partager la genèse et l’histoire de ta création Bi-tà ?
La plupart du temps, je cherche à comprendre comment un concept mathématique peut être transposé à une pratique chorégraphique. J’aime en particulier explorer ce que cette relation peut générer, comment une discipline détermine/influence l’autre et de quelle manière je peux transmettre cette interconnexion au public. Pour Bi-tà, j’avais surtout envie d’une danse libre, qui laisse de la place à l’incertitude et au hasard. J’ai alors supposé que le concept des probabilités en mathématiques pourrait être un bon point de départ.
Comment as-tu initié la recherche de Bi-tà ?
Je me suis imaginée devoir expliquer à un groupe de personnes ce que serait un espace de probabilité, montrer un exemple et enfin combiner la théorie et l’exemple. Je me suis ensuite demandée comment je pouvais l’expliquer par le biais d’une chorégraphie. J’ai ensuite analysé les différents éléments mathématiques nécessaires pour expliquer ce qu’est une probabilité (par exemple, un ensemble, une fonction, des nombres de 0 à 1) et j’ai réfléchi à la manière de les traduire en mathématiques. Mon objectif n’est bien sûr pas de faire comprendre exactement le concept de probabilité, mais d’exciter la curiosité du public. Dans Bi-tà, je n’utilise pas seulement les mathématiques comme un outil de dramaturgie, mais aussi comme un moyen d’ouvrir de nouveaux horizons imaginaires, en introduisant de nouveaux espaces abstraits. En mathématiques, la notion d’espace peut prendre plusieurs formes. Ce que je trouve intéressant, c’est que ce ne sont pas forcément des espaces physiques, mais des espaces abstraits. Pour donner un exemple, si vous prenez un ensemble de vecteurs, de nombres scalaires et d’opérations (comme la somme), leur combinaison peut créer un « espace ». La conceptualisation des espaces a le pouvoir d’atteindre des niveaux d’abstraction incroyables qui stimulent le cerveau à travailler et à se façonner. Pour moi, c’est là que réside le côté créatif des mathématiques.
Peux-tu donner un aperçu du processus chorégraphique de Bi-tà ?
Le mouvement de Bi-tà vient en partie d’une pratique somatique qui permet d’avoir une conscience spécifique du corps, en particulier les os. Cette pratique m’a permis de commencer le processus de recherche sur le mouvement et d’accéder aux différentes dimensions des sensations physiques et imaginaires. Durant cette pratique, j’imagine créer un espace entre mes os qui augmente de plus en plus jusqu’à avoir une sensation d’allongement et de légèreté. J’imagine ensuite qu’une entité bouge mon corps : je danse avec la sensation de ne plus avoir la possibilité de choisir la direction ni l’organisation de mes gestes. Les mouvements sont petits, gras et anguleux. Lorsque l’intensité augmente, le corps saute et le mouvement devient, en apparence, incontrôlé. Dans un second temps, j’ai ajouté à cette pratique physique une partie analytique et systématique qui consiste à composer des mouvements à partir des possibilités de chaque partie du corps.
Pour Bi-tà, tu as collaboré avec le compositeur Metunar. Peux-tu revenir sur cette rencontre et votre collaboration ?
J’ai rencontré Metunar durant une jam session de synthétiseurs au Swiss Synthetizers meeting à Locarno. Si c’était une soirée un peu «nerd» et expérimentale, les musiques qui étaient jouées étaient aussi mélancoliques, mélodiques et hypnotiques. Et c’était justement ce que je cherchais pour Bi-tà. Outre la musique, j’ai aussi été captivée par l’approche des musiciens pendant la jam. C’était très analytique, presque comme s’ils devaient résoudre des problèmes (mathématiques). J’ai tout de suite été intéressée par ce type de performance, car en plus de la musique, l’environnement qu’elle peut créer est pour moi très stimulant. J’ai donc proposé à Metunar de m’accompagner dans cette recherche. Dans son travail, Metunar explore et fusionne une multitude de styles de musique électronique, comme l’expérimental, l’ambient, l’électro et même la synthpop. Pour Bi-tà, il a imaginé un voyage mélodique à travers une musique méditative et répétitive, avec des improvisations au clavier et des passages sonores aléatoires.
Bi-tà est présenté les 12 et 13 août au far° festival et fabrique des arts vivants Nyon
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