Par Wilson Le Personnic
Publié le 14 mai 2024
Entretien avec Mickaël Phelippeau
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Mai 2024
Tes projets naissent toujours d’une rencontre avec une personne, une communauté, une pratique. Comment présenterais-tu ta recherche artistique ?
En effet, tous mes projets naissent de rencontres, qu’elles soient imprévues ou provoquées. C’est la base de tout ce que je fais depuis vingt-ans. J’ai d’abord commencé par des « bi-portraits » photographiques, au départ pour porter un regard sur la place de l’interprète, en interrogeant des personnes dans leur cadre professionnel. Puis je me suis rendu compte que cette démarche accélérait les rencontres et m’a permis de croiser le parcours de personnes que je n’aurais certainement jamais connues. C’est ainsi que j’ai rencontré Jean-Yves Robert, alors curé de la paroisse de Bègles, dans la lignée des prêtres ouvriers, à qui j’ai proposé de devenir mon partenaire dans bi-portrait Jean-Yves. Ce duo créé en 2008 autour de notre rencontre a été le premier projet de ma longue série des bi-portraits, une démarche en perpétuelle évolution qui me permet à chaque fois d’initier de nouvelles rencontres.
La plupart de tes pièces ont également la particularité de mettre en scène des interprètes amateur·ices et/ou non professionel·les. Qu’est-ce qui motive ton intérêt pour ce type de collaboration/projet ?
En fait, quand je propose à Jean-Yves de porter le poids de sa propre parole sur un plateau, je ne me dis pas qu’il est amateur en danse, il est professionnel de ce qu’il fait et c’est ce pour quoi il est présent sur scène. Ça ne m’intéresse pas de parler d’amateurisme à propos de mon travail, si on l’oppose au professionnalisme. En revanche, la définition de l’amateur·rice en tant qu’amoureux·se de […] me plaît beaucoup et là j’embrasse cette définition. Je ne crois pas qu’on soit formé en tant qu’interprète, en danse, en théâtre ou autre, à parler de soi sur un plateau. Quand je propose à Lola Rubio, à Ben Cissé et Luc Sanou ou à Lou Cantor, interprètes professionnel·les, de travailler sur des portraits chorégraphiques, il·elles ne sont pas plus « armé·es » que Jean-Yves pour être eux et elles-mêmes en représentation.
Tu as créé Majorettes avec les Major’s Girls de Montpellier, un groupe de femmes d’une moyenne d’âge de soixante ans. Peux-tu revenir sur cette rencontre et l’histoire de ce projet ?
Je m’intéresse aux majorettes depuis longtemps et j’avais déjà initié des rencontres avec certains clubs en France. Un jour, une amie native de Montpellier, Leslie Barbara Butch, me parle des Major’s Girls, une troupe de majorettes créée en 1964 qui mobilise actuellement une quinzaine de membres, avec une moyenne d’âge de 60 ans. La singularité de ce groupe attise ma curiosité. Je récupère le 06 des Major’s Girls et rencontre d’abord Josy, capitaine, dans leur local en périphérie de la ville. Je me souviens encore des trophées, des coupes, des photos, des costumes et bien entendu de la bouteille de pastis sur la table. Je crois que le projet est né ce jour-là, conforté par la rencontre avec le reste de la troupe lors d’un entraînement. Elles m’ont accueilli à bras ouverts.
Quelles sont les principales questions qui traversent cette création ?
Pour moi, c’était important de partir de qui sont ces femmes. C’est donc une pièce à leur image qui s’est construite avec et pour elles. Dès le premier jour, sans savoir où nous allions, je leur ai dit que ce que nous allions fabriquer ensemble serait un portrait d’elles en tant que majorettes mais aussi en tant que femmes. C’est la raison pour laquelle elles témoignent de leurs histoires, mais aussi du futur. C’est une pièce qui traite de la mémoire, de la filiation, du parcours de transformation que traversent ces femmes à travers cette pratique. Et c’est aussi une pièce qui exprime la joie du collectif, le plaisir de pratiquer l’art du bâton, de danser et d’être ensemble.
Peux-tu partager un aperçu du travail et du processus avec cette équipe ?
Comme pour tous les portraits chorégraphiques que j’ai réalisés jusqu’à présent, je ne présuppose pas une pièce avant de commencer le travail. Il a fallu apprendre à se connaître mais aussi à comprendre comment on fonctionne ensemble. Au départ, ça n’a pas été simple et le dialogue n’était pas toujours évident. Elles travaillent d’une certaine manière depuis presque soixante ans et j’ai chamboulé tout ça. Nous avons fait des temps individuels pour récolter des paroles personnelles qu’elles n’auraient peut-être pas partagées devant les autres. Puis les récits se sont ciselés. Mais avant de leur proposer ces temps d’échange, j’ai commencé par les accompagner durant leurs répétitions. Leur pratique a été notre premier terrain de rencontre. Je leur ai proposé des exercices et j’ai expérimenté avec elles des variantes, qu’elles trouvaient parfois étranges. Et je leur ai aussi écrit une longue chorégraphie à partir de ce que j’avais pu observer d’elles.
Ces dernières années, on a pu voir plusieurs projets chorégraphiques sur et avec des majorettes. Comment analyses/expliques-tu cet intérêt relatif des chorégraphes pour cette figure longtemps mésestimée ?
Quand tu dis ça, je pense à la pièce Queen A Man de Cécile Le Guern que j’ai découverte récemment et qui opère un déplacement car ce sont des hommes qui sont interprètes dans la pièce. Je pense aussi au travail de la chorégraphe Marta Izquierdo Muños. Les artistes sont des révélateur·rices de leur temps, de leur époque et je pense qu’il y a des intérêts convergents. Je pense également qu’il y a dans la figure de la majorette « traditionnelle » une représentation à la fois nostalgique et désuète qui charrie de nombreux fantasmes. J’ai pour ma part découvert les majorettes quand j’étais enfant alors que mes parents étaient boulangers dans un petit village et je crois que je me projetais en elles et que je désirais secrètement en faire partie et ainsi manier le bâton, défiler fièrement, porter des costumes chatoyants et des paillettes, ça m’a marqué… Et puis, j’ai cette sensation que les majorettes sont en « voie de disparition ». C’est peut-être un mélange de tout ça qui explique cet intérêt.
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