Photo Danny Willems

Speak low if you speak love, Vim Vandekeybus

Par Guillaume Rouleau

Publié le 8 avril 2016

Nouveau festival pluridisciplinaire proposé par La Villette du 22 mars au 10 avril 2016, 100% occupait l’espace publicitaire parisien en caractères tracés à la peinture photoshopée. Cette pluridisciplinarité, et donc plurivocité, la tête d’affiche : l’hyperactif chorégraphe, scénographe, danseur, photographe et réalisateur belge Wim Vandekeybus, l’appliquait à l’amour dans son opéra rock dansé Speak low if you speak love…. Réplique shaekspearienne, « Speak low if you speak love » est extraite de Much ado about nothing (« Beaucoup de bruit pour rien »). Don Pedro, Prince D’Aragon revenu à Messine après avoir guerroyé, adresse en effet ces paroles à Héro, fille du gouverneur, prise dans un conflit amoureux. Parle doucement, à voix-basse, si tu parles d’amour… Vim Vandekeybus, quant à lui, en parlera à voix haute, dans le bruit et la fureur.

De grandes toiles colorées servent d’arrière-plan. Sur la gauche, une cabane en bois. Sur la droite, un mur de bambous. Un carré de lumières est soutenu par des chaînes. Un homme apparaît, décontracté, une canne à pêche bricolé dans les mains. Il en jettera le fil dans le public, plusieurs fois, avant d’être rejoint par les autres membres d’Ultima Vez, la compagnie fondée en 1986 par Vim Vandekeybus. Les costumes de Lieve Meeussen sont travaillés, encagoulant de nylon les danseurs ou les déguisant en majorettes. Vandekeybus est apprécié pour sa sortie de registres délimités, ses penchants pour le spectaculaire, que l’on retrouve dans Speak low if you speak love…, la technique et le plaisir des danseurs à être sur scène, ces passages qui évoquent des situations vécues, une approche un peu rock’n’roll de l’amour sur les solos de batterie de Jeroen Stevens et le chant a capella de Tutu Puoane, sans oublier le chant et la guitare de Mauro Pawlowski. “Speak loud when you speak love” nous dit Vandekeybus. “Speak very loud and love is everything”. “Everything and anything” cependant.

Vim Vandekeybus traite malheureusement avec maladresse des thématiques attendues. La jalousie, l’avidité, la polygamie/polyandrie, la violence conjugale sont présentées comme une suite de situations archétypales qui diraient l’amour dans ses zones claires et obscures. Le dépliant indiquant que « Pour Wim Vandekeybus, l’amour est peut-être bien le plus insaisissable et le plus fantasque de tous les états intérieurs : il déplace des montagnes, crée des sommets et des vallées incommensurables ». Cette vision postromantique de l’amour, comme ce qui construit et ce qui détruit, comme ce qui est « sublimé et maudit », comme ce qui inspire « la poésie » masque certaines difficultés. Ce qu’on entend par amour et comment en parler. L’amour se restreint ici à eros. Celui de la luxure, de la violence, de la convoitise, de l’aveuglement, de l’égoïsme. Les approches vont se superposer selon un ensemble de ficelles plus ou moins épaisses, plus ou moins lourdes. D’une cordée lancé dans le public par le polyvalent batteur à la chaîne de métal qui soutient un cerf-volant en bois déchiré, de cette ceinture qui se fait et défait le long du short de Livia Balazova à la corde de l’arc tendu dans un duel entre le féminin et le masculin.

Les points de suspension du titre pointaient peut-être le danger. Celle d’une phrase ambiguë, dont l’apparente tranquillité était une mise en garde à l’amour formulé trop fort. La réussite de la scénographie et l’énergie déployée par les danseurs servent ici une transgression de la formule shakespearienne qui peut surprendre. Mais l’une des questions centrale que (re)pose le spectacle de Vandekeybus aux arts de la scène est la suivante : comment parler de l’amour à un public, c’est-à-dire, comment reconstituer l’amour, lui donner corps sur scène ? Cette tentative n’en reste pas moins un fil interprétatif à saisir. Fil qui, lorsqu’il est lancé dans les premiers rangs par Livia Balazova à la toute fin, peine à trouver preneur.

Vu à la Grande Halle de La Villette dans le cadre du festival 100%. Mise en scène, chorégraphie, scénographie Wim Vandekeybus. Lumière David Deschepper. Son  Bram Moriau et Antoine Delagoutte. Photo Danny Willems.