Photo ©LaurentPaillier

Veine, David Wampach

Par Elisabeth Le Bail

Publié le 29 juin 2017

Artiste associé au CDC Uzès Danse, le chorégraphe David Wampach y a présenté ses deux dernières créations : Urge (2015) et Veine (2014) dans le cadre de la vingt deuxième édition du festival Uzès danse. C’est dans le jardin botanique, situé au pied du Duché d’Uzès, qu’avait lieu la représentation de Veine, une pièce en deux temps, et en deux lieux différents. La première partie était performée par la danseuse israélienne Tamar Shelef dans une petite salle de pierre aux allures de cave, tandis que la deuxième, performée par la danseuse espagnole Aina Alegre, se faisait en extérieur dans la petite cour, autour d’un arbre, où le sol avait été recouvert d’un cercle de terre battue.

Vêtue d’un plastique jaune mis en forme de robe bustier, qu’elle descendra ensuite au niveau des hanches, se retrouvant ainsi torse nu, Tamar Shelef est déjà en place quand on arrive dans la salle. Elle est debout face au public, immobile, le regard fixe droit devant elle, un bloc gélatineux de betteraves à ses pieds, sur un sol blanc rectangulaire, circonscrivant l’espace scénique, qui sera plus tard dépassé, la performeuse venant jusque dans les rangs des spectateurs à la fin. Il y a aussi derrière elle, en fond, un panneau blanc en forme de triptyque. Cette configuration lui donne des airs d’étrange madone, ou mi-princesse, avec ses très longs (faux) cheveux tirés et attachés en queue de cheval, lui arrivant jusqu’aux genoux derrière.

Sur un fond sonore de rythme de tarentelle, une transe méticuleusement ordonnée va se déployer. Elle commence par l’ingurgitation de betteraves, pêchées dans ce bloc gélatineux. Ça rentre, ça ressort, ça coule le long de sa gorge, sur sa robe de plastique jusqu’au sol blanc, la performeuse continuant à mastiquer, engloutir jusqu’à ses doigts, avec délectation, avidité, plaisir orgasmique, etc. Le bloc entier y passera, huit betteraves en tout. On traverse ainsi les différentes phases d’une transe : celle de l’excitation, du climax jusqu’à l’épuisement, puis de nouveau une remontée. Elle est prise parfois de spasmes, ou de mouvements répétitifs de plus en plus forts. La musique laisse la place à ses bruits, sons qui lui sortent de la bouche, puis de la gorge, jusqu’à devenir des cris puissants. Elle nous conduit enfin jusqu’à la porte qui mène vers la deuxième partie de la performance.

Sortis du bâtiment, c’est Aina Alegre, nue, qui nous attend sur le passage, jambes ouvertes dans une position de quatre pattes inversée, avec un pastiche de poil exagéré, lui recouvrant l’entre jambe. Le déplacement exécuté dans cette position rappelle directement celui rapporté dans les descriptions des transes de tarentulées. La performeuse, ventre orienté vers le ciel, marche sur ses mains, alors que ses pieds sautent ensemble. Il y a des râles, des plaintes. Elle tourne ainsi autour de l’arbre, près de nous, s’allonge au sol puis se relève, toujours dans cet état agité. Il y a un moment d’accalmie, une respiration dans ce continuum : la danseuse debout, reste immobile un moment, à regarder autour d’elle, avant de repartir dans la dynamique de transe.

David Wampach s’est inspiré du rite de la taranta, rituel issu de croyances antiques qui se pratiquait dans le sud de l’Italie, lors duquel des personnes se guérissaient de la morsure d’une araignée vénéneuse par une danse rapide, un état de transe. Il propose ainsi une (re)lecture très contemporaine de cette forme d’exorcisme populaire, qui tenait aussi beaucoup du mythe. Dans ce décor médiéval, les performances des danseuses donnent à voir une exploration des profondeurs, cette part d’ombre faite de désirs et d’obsessions refoulés. La transposition et le parallèle de ce rite permettent au chorégraphe de s’interroger sur la nature humaine, le rapport intérieur/extérieur, ainsi que sur l’ordre social. Dans cette mise en scène d’états limites à la physicalité intense et très animale, c’est aussi une réflexion plus général sur le théâtre qui est alors soulevée : la co-présence entre interprètes et public (et ses limites), ainsi que la nature cathartique et rituelle de la représentation théâtrale.

Vu dans le cadre du festival Uzès Danse. Chorégraphie : David Wampach. Dansé par Aina Alegre, Tamar Shelef. Costume Rachel Garcia. Photo © Laurent Paillier.