Photo copyright charly gosp

Uccello, Uccellacci & The Birds, Jean-Luc Verna

Par Wilson Le Personnic

Publié le 21 mars 2017

Figure singulière dans le paysage artistique Français, Jean-Luc Verna (1966) développe depuis plus de trente ans une oeuvre protéiforme et transdisciplinaire Le crâne rasé, percé, tatoué de la tête aux pieds, il aborde une dentition argentée que son sourire laisse entrevoir : où qu’il passe, sa silhouette détonne et fascine. À la fois chanteur, dessinateur, performeur, chorégraphe, comédien, l’artiste place son corps au centre de sa recherche plastique et esthétique. Avec sa dernière création pour la scène Uccello, Uccellacci & The Birds, l’artiste condense et met en tension des filiations iconographiques entre histoire de l’art et culture rock.

Les spectateurs sont accueillis par un capharnaüm de chants d’oiseaux, le ton est aussitôt donné : nous sommes dans la volière de Jean-Luc Verna. En fond de scène, un double rideau de velours noir javelisé, tacheté de perles de verre et de diamants scintillants, vient rappeler Half Knight, l’oeuvre centrale de son exposition personnelle « Jean-Luc Verna— Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ?— Non Rétrospective » qui vient de se clore au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine. De ce rideau de scène, qui se transformera également en ciel noir étoilé, s’échappera des figures débridées tout droit sorties de l’imagine de l’artiste.

Etonnement en retrait (nous ne le verrons que quelques secondes au début et au milieu du spectacle), Jean-Luc Verna met en lumière deux interprètes qu’il parvient à sublimer dans leur plus simple appareil : Loren Palmer (coiffée d’une perruque brune qui lui donne des airs de Sioux) et Benjamin Bertrand, deux danseurs déjà aperçus dans le même costume dans Tragédie d’Olivier Dubois. Peau offerte aux regards (la nudité est un leitmotiv dans le travail de l’artiste), ils vont chacun leur tour, et ensemble, activer un catalogue d’images empruntées à l’histoire de l’art. Encadrées par deux rangées de néons à la verticale, les poses vont peut à peut se déformer, s’accélérer, et se muter dans une chorégraphie effrénée rythmée par la musique rock de Peter Rehberg ou par la voix de Béatrice Dalle qui s’adresse à un répondeur téléphonique.

Le dernier tableau sera quant à lui une véritable orgie chorégraphique, avec l’apparition d’un petit groupe de danseurs, comme échappés d’une soirée SM, entièrement nus, maquillés, certains recouverts de tatouages, ou enlacés par des harnais en cuir. Chacun y reprend avec précipité les poses déjà activées par les deux premiers danseurs, une chorégraphie collective sans retenue qui brouille les citations et qui fait des corps de simples figures labiles animées par le plaisir de danser. Parmi eux, nous pouvons identifier certains oiseaux de la nuit parisienne, parmi lesquels Francois Sagat, icône du porno gay avec lequel Verna a déjà collaboré dans un précédent opus musical pour la scène, I Apologize, ou encore au coté même de l’artiste dans sa série de photo en noir et blanc en Apollon et Daphné.

Au regard de l’oeuvre plastique de Jean-Luc Verna, nous pouvons reconnaitre certaines analogies entre son travail photographique et cette proposition chorégraphique. Depuis les années 2000 l’artiste a en effet signé une série d’auto-portraits (du petit Polaroïd aux grands tirages en noir et blanc) où il se met en scène entièrement nu ré-interprètant des figures de l’histoire de l’art. Des ramifications esthétiques entre des images telles que la ballerine du peintre d’Edgar Degas avec Nina Hagen, la crucifixion de Francisco de Goya avec Freddy Mercury, ou encore le Faune de Vaslav Nijinski avec Lux Interior du groupe The Cramps.

Avec Uccello, Uccellacci & The Birds, l’artiste Jean-Luc Verna signe une proposition ambitieuse, celle de faire incarner les fantômes d’un passé encore brûlant à travers le prisme de corps marqués par une histoire contemporaine. Résolument rock’n’roll, Uccello, Uccellacci & The Birds, qui vient d’être créé à la Ménagerie de verre dans le cadre du festival Etrange Cargo, manque encore cependant de la maturité nécéssaire pour en faire une pièce aboutie. Prochain rendez-vous, dans le cadre du Festival à Corps au TAP Poitiers le 12 et 13 avril prochain.

Vu à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Etrange Cargo. Conception et texte Jean-Luc Verna. Interprète voix Béatrice Dalle. Musique Peter Rehberg. Création lumière Catherine Noden. Avec Benjamin Bertrand, Loren Palmer et Jean-Luc Verna. Guests Cécile Chatignoux, Arnaud-Yves Dardis, Nicolas Guimbard, Franck Mas, Marc Planceon, Louise Ronk-Senges, François Sagat, Elsa Steyaert. Photo © Charly Gosp.