Photo Pierre Grosbois

Les tragédies de Juillet au théâtre du Point du jour

Par Quentin Thirionet

Publié le 3 août 2015

Difficile de parler d’un spectacle de Gwenaël Morin sans évoquer à la fois le projet dans lequel il s’inscrit et le lieu où tout se joue. Après Les Laboratoires d’Aubervilliers, ce fût au tour du Théâtre du Point du jour à Lyon d’accueillir le metteur en scène et son désir d’un Théâtre Permanent. C’est ici que, depuis 2013, ses équipiers travaillent chaque jour à réinventer avec ferveur un théâtre de verve et d’acharnement employé à retrouver le goût de la place publique, particulièrement mis à l’honneur dans ces tragédies de Juillet.

A l’orée du spectacle, les spectateurs sont invités simplement à habiter le parking du théâtre et profiter d’un barbecue servi et partagé par la troupe. Puis le spectacle commence avec les lamentations d’Oreste et les Histoires se confondent. Entre la rue des Acqueducs et le club de boulistes du quartier du Point du Jour, sur ce parking où l’on se réjouit d’une saucisse et d’un spectacle pour un tarif des plus modestes, Mycènes.

Au centre de cette cité hantée par les Erinyes, furies persécutrices et divinités vengeresses, Electre se morfond du destin terrible de sa triste famille et cherche un moyen de combattre cette oraison criminelle autant que la folie désespérée qui la guette. Agamemnon, son père, est mort des mains d’Egisthe, complice de sa mère, Clytemnestre. Le couple assassin tient alors Electre, sa sœur et les Mycéniens sous son joug, néanmoins inquiétés par Oreste, le fils, parti ruminer et préparer sa vengeance. Seul espoir d’Electre, il orchestre une fausse mort afin d’être reçu, déguisé, dans le palais royal pour annoncer la nouvelle et approcher ainsi sa mère et le tyran illégitime. Touché par le spectacle criant du chagrin de sa sœur, au fait de sa mort sans savoir la supercherie, Oreste se révèle à elle avant de mettre à bas Egisthe et cette mère dont la victime avait lui-même sacrifié le fruit de leur amour. Mais alors, qui a une dette envers qui ?

Cinq acteurs tiennent les rênes des huit personnages de cette tragédie de Sophocle où tous sont instruments d’une entreprise de vengeance mécanique, archaïque. Alors qu’Eschyle œuvre à mettre en scène les dieux dans son Orestie, Sophocle y préfère l’ironie tragique des oracles douteux, laissant presque l’homme choisir son destin. De toute évidence, cette mise en scène, reposant sur une traduction mettant cette ironie en exergue, réalisée pour l’occasion, est le fruit d’une recherche passionnée vers les racines du théâtre grec, profondément inscrits au cœur de la cité. Au cours du drame, le peuple-citoyen de Mycènes chante d’une seule voix ces Stasimons qui font une force de ce théâtre. Des curieux du projet dont quelques habitants du quartier font ainsi justement vivre ce Choeur bienveillant envers Electre, témoin acteur de son destin funeste.

Dans ce théâtre dénué de tout artifice où l’acteur porte le drame avec une puissante simplicité, alors que Choreutes et personnages sont mêlés au public, tout procède à une intense communion face aux machinations dont les dettes, encore tristement actuelles, sont l’argument. Dans son discours de Turin, Gwenaël Morin nous disait « RIEN N’EST REQUIS POUR PARLER SAUF L’ETRE HUMAIN » – Ne reste alors qu’à écouter.

Electre, vu au Théâtre du Point du jour à Lyon. Ajax, Œdipe et Electre de Sophocle sous la direction de Gwenaël Morin, assisté par Philippe Mangenot, Barbara Jung et Marion Couzinie. Traduction par Irène Bonnaud et Malika Hammou. Photo Pierre Grosbois.