Photo © Anne Laure Lechat

Le Récital des postures, Yasmine Hugonnet

Par Céline Gauthier

Publié le 16 janvier 2017

La chorégraphe Yasmine Hugonnet met en scène un subjuguant Récital des postures (pièce créée en 2014) où s’éprouve par l’intermédiaire d’un seul corps la richesse complexe du mouvement dévoilé dès sa naissance.

Dès que le premier geste s’esquisse la salle retient littéralement son souffle, au risque de l’entendre sinon bruyamment résonner dans le silence épais. Vêtue d’un collant gris et d’une tunique noire la danseuse semble lentement s’étirer, glisse doucement d’un appui à l’autre à l’image de la pièce toute entière où chaque trouvaille appelle la suivante. Le Récital des postures paraît guidé par une mélodie intérieure, un rythme muet dans lequel l’immobilité presque inachevée de chaque pose révèle un cheminement continu bien que parfois imperceptible.

Seule en scène et très assurée sur le plateau Yasmine Hugonnet explore les qualités complexes d’un geste tour à tour contenu lorsqu’elle abaisse lentement ses jambes vers le sol, parfois cherche son équilibre parcouru de tremblements hésitants, mais aussi sensiblement plus fluide dès lors que le mouvement trouve sa source au creux du bassin.

Or c’est précisément dans la justesse de ces nuances que s’éprouve pleinement l’attention magnétique, presque hypnotique que la danseuse nous impose, longuement travaillée par l’expérience des pratiques somatiques. S’y distingue alors le plaisir de nous laisser éprouver enfin que la mise en scène d’une infinie lenteur peut s’abstraire d’une uniformité pourtant si convenue.

Notre regard, à mesure qu’il s’aiguise et saisit le flux de son mouvement avec plus d’acuité, se surprend à guetter à la surface du corps le tressautement du geste là où il émerge, à la pointe du pied ou dans le creux du nombril. Cependant il demeure saisissant de s’apercevoir à quel point l’œil semble parfois impuissant à saisir les torsions complexes auxquelles elle se livre, jouant de l’ondulation de ses épaules contre le sol et des vagues qui soulèvent une à une ses vertèbres.  Comme pour nous y aider la danseuse se met à nu, littéralement, parce que c’est sans fards que le corps se dévoile pleinement aux regards et donne à voir l’inscription profonde de la tonicité de chaque geste qu’elle propose. Elle en fait l’épreuve par des marches glissées, presque faunesques qui contraignent le geste et dévoilent le relief postural du corps fragmenté, l’abdomen toujours souple et mobile cependant puisque c’est du souffle rendu visible par l’élévation cyclique du sternum que jaillit son mouvement.

L’exploration du mouvement devient plus intime et se mue en un délicat toucher, presque une caresse dans la curiosité très enfantine des mains baladeuses qui parcourent la surface de sa peau ou tortillent une mèche de cheveux du bout des doigts. Le corps se fait terrain de jeu et la danseuse nous invite à se couler avec elle dans un état proche de la transe, une sensation d’éveil et d’attention que nous partagerons ensemble ; un unisson tel qu’elle le nommera finalement.

Le Récital des postures se développe ainsi comme une très riche succession de séquences explorées chacune jusqu’à leur sève, dans l’espace du plateau habité de long en large par la danseuse. Si quelquefois la cohérence semble mise à mal la justesse de son propos n’en est pas affectée parce que l’ensemble témoigne de l’inventivité débordante de son interprète qui nous étonne à partir de presque rien. Finalement elle nous fixe, immobile, et laisse échapper une ritournelle d’onomatopées ventriloques et invisibles tandis que sa glotte frétille d’un mélodieux babil.

Vu au Théâtre de la Cité Internationale à Paris. Chorégraphie et interprétation Yasmine Hugonnet. Collaborateur artistique Michael Nick. Création lumière Dominique Dardant. Costume Scilla Ilardo. Regard et replay Ruth Childs. Conseils dramaturgiques Guy Cools. Photo © Anne-Laure Lechat.