Photo Kurt Van der Elst

Het land Nod (Le pays de Nod), FC BERGMAN

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 17 mai 2017

Artistes associés au Toneelhuis d’Anvers depuis 2013, le collectif anversois FC Bergman signe depuis maintenant quelques années des pièces d’envergure, confrontant une mise en scène à première vue anectodique avec des décors spectaculaires. Créée en 2015 à Park Spoor Nord à Anvers, leur dernière production, Het Land Nod (Le pays de Nod en français) fut l’une des grandes surprises de la 70ème édition du festival d’Avignon l’été dernier. La pièce est aujourd’hui présentée pour la première fois à Paris dans la Grande Halle de la Villette jusqu’au 20 mai.

De l’extérieur, c’est une grande structure de bois, un gigantesque sarcophage, qui se révèle être l’envers d’une scénographie monumentale dans laquelle nous pénétrons, hagards. Ce majestueux décor est la réplique exacte de la Salle Rubens du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers (qui a fermé ses portes pour travaux, depuis 2011). Alors que le public s’installe, des hommes s’affairent déjà dans l’espace, un d’eux passe méthodiquement la cireuse sur le parquet en point de Hongrie, tandis que des régisseurs en blouses de travail emballent de plastique-bulles des tableaux, qui, on l’imagine, viennent à peine d’être décrochés des murs. Ce dispositif convoque le musée au théâtre et évoque le souvenir de la mise en scène de Patrice Chéreau en 2010, Rêve d’Automne, qui prenait place dans la reconstitution d’une salle du musée du Louvre.

Sur le mur de côté, à jardin, une dernière oeuvre monumentale trône, encore fixée au mur : le célèbre Coup de Lance de Rubens, peint en 1620 pour l’Eglise des Capucins d’Anvers. Trop grand pour passer les portes de la salle, cette toile immense, au motif baroque et tourbillonnant, polarisera l’attention et les désirs des protagonistes pendant tout le spectacle.

En partie vidé de ces oeuvres, le musée continue à voir se dérouler la petite vie de ses employés. Un conservateur ressemblant à Buster Keaton, des gardiens peu dégourdis, ou encore quelques rares visiteurs continuent de peupler ce lieu qui se délite petit à petit, au gré du temps qui passe. L’atmosphère solennelle induite par la monumentalité de la salle, de ses corniches et la figure surplombante du Rubens abrite une série de situations plus ou moins absurdes, flirtant avec le fantastique, aussi poétiques que surréalistes. Sans texte, à mi-chemin entre le théâtre d’objet et le cinéma muet, la mise en scène est quasi-chorégraphique.

Confrontant des séquences anecdotiques et légères à des situations cataclysmiques, la troupe FC Bergman élabore une série de séquences provoquant peu à peu l’étiolement du décors. Les personnages nous semblent infiniment petits, luttant désespérément contre les éléments (la pluie, le brouillard, les effondrements…). Un homme en smoking ponctue la représentation, sortant de sa poche une poignée de feuilles mortes, de neige, de fleurs, ou de sable, au son des versions de Nina Simone et Harolyn Blackwell du Summertime de Gershwin, ou de la version de Max Richter du Printemps de Vivaldi. Si tous ces signes sont convoqués pour figurer la valse des saisons, il se dégage l’étrange impression d’un espace hors du temps, pétrifié dans l’éternité du musée.

Soumis aux aléas des explosions, des tempêtes et des maladresses des personnages, l’espace au départ olympien se métamorphose en inquiétant champs de ruine. Au coin du feu ou sous des cabanes de fortune, les personnages semblent en lutte, redoublant d’efforts pour ne pas perdre la face devant la figure du Christ impassible. L’eau s’infiltre, les corniches se décrochent, les tapisseries partent en lambeaux. La salle du musée, dans tout ce qu’elle a de plus artificiel, finira jonchée de gravats, tel un un paysage après la bataille, encore hanté par des silhouettes fantomatiques.

D’une beauté à couper le souffle, Het Land Nod est sans nul doute l’une des plus belles propositions théâtrales de ces dernières années.

Vu à la Villette. De et avec FC Bergman : Stef Aerts, Joé Agemans, Bart Hollanders, Matteo Simoni, Rik Verheye, Marie Vinck. Conception son FC Bergman i.s.m. Diederik De Cock. Conception lumière FC Bergman i.s.m. Ken Hioco. Photo © Kurt Van der Elst.