Photo ©Chris van der Burgh

Nicht Schlafen, Alain Platel / Les Ballets C de la B

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 29 mai 2017

Après trois ans de fermeture, la MC93 rouvre ses portes en accueillant Nicht Schlafen, la dernière création d’Alain Platel, présentée pour la première fois en Île-de-France. Une réouverture solennelle, comme un signal fort envoyé par Hortense Archambault, nouvelle directrice du lieu, qui inaugure sa première saison par une œuvre charnelle, baroque, âprement politique.

Figure incontournable de la scène chorégraphique flamande, Alain Platel poursuit depuis plus de trente ans un travail aux confins de la danse, du théâtre et de l’oratorio païen. Fondateur des Ballets C de la B, il collabore régulièrement avec des artistes de toutes provenances, mêlant traditions populaires et grands répertoires musicaux dans un geste profondément œcuménique.

Avec Nicht Schlafen, il orchestre un nouvel entrelacs entre musiques savantes et énergies brutes. Gustav Mahler, dont les symphonies animent le cœur du spectacle, dialogue ici avec les chants pygmées interprétés en direct par Boule Mpanya et Russell Tshiebua, deux musiciens congolais déjà présents dans Coup Fatal. Cette hybridation musicale, entre lyrisme désespéré et pulsation rituelle, structure une pièce tendue entre l’effondrement du monde ancien et la persistance de forces vitales.

Sur une estrade centrale gisent trois chevaux, moulages hyperréalistes signés Berlinde De Bruyckere, figés dans l’agonie. Le plateau, bordé d’une tenture éventrée, convoque une atmosphère de charnier mythologique. On pense aux champs de bataille, aux sacrifices antiques, à l’effroi de l’histoire. Ce décor de fin des temps devient le théâtre d’un affrontement pulsionnel. Neuf interprètes, presque tous masculins, se jettent dans une mêlée désorganisée, entre luttes animales, déshabillages sauvages et combats d’épuisement. La peau s’expose, les chairs s’abîment, les voix s’élèvent parfois en chœurs a cappella comme des litanies funèbres.

C’est une transe continue, une chorégraphie de l’instinct. Platel privilégie l’énergie, la torsion, la brutalité, travaillant la matière corporelle comme un sculpteur. Les gestes empruntent à l’équitation guerrière, aux rituels tribaux, à la parade amoureuse. Les corps se frôlent, se heurtent, se soumettent. La bande-son, entremêlant Mahler, cris amplifiés et râles de chevaux, installe un climat d’oppression hypnotique. Le plateau devient une arène archaïque, à la fois sensuelle et sacrifiée.

Mais cette intensité, si frappante dans les premières minutes, finit par se diluer. Les séquences s’enchaînent sans réelle progression, et malgré la virtuosité des interprètes, la forme patine. Le spectacle s’étire dans une danse d’épuisement, parfois plus démonstrative que signifiante. La puissance du collectif, indéniable, peine à trouver une dramaturgie claire. On devine des intentions, la guerre, la résilience, l’effondrement des civilisations, sans que l’ensemble n’atteigne l’impact de précédentes œuvres de Platel. Malgré sa puissance plastique et l’engagement des interprètes, le spectacle impressionne plus qu’il ne bouleverse, et semble s’épuiser dans son propre excès.

Vu à la MC93. Photo Chris Van der Burght.