Photo © Nattapas Jirasatit

Negotiation, Pichet Klunchun & Olé Khamchanla

Par Céline Gauthier

Publié le 14 février 2018

Un duo comme une rencontre de corps façonnés par la longue expérience de danses ancestrales ou plus actuelles, tel est l’ambitieux projet de Negociation, la nouvelle création de Pichet Klunchun et Olé Khamchanla. Si l’on avait rencontré le premier dès 2005 grâce à la pièce de Jérôme Bel, Pichet Klunchun and myself, on découvre ici la gestuelle souple et précieuse de son acolyte, mâtinée par la pratique des danses urbaines. Tous deux dévoilent sur scène le long cheminement par lequel les figures du Khon, une danse traditionnelle thaïlandaise, se tissent peu à peu des gestes plus intimes et singuliers, gagnées par la porosité saillante entre les deux interprètes.

L’unique faisceau d’un projecteur éclaire la scène vide. Les silhouettes de deux hommes s’avancent lentement dans la pénombre : épaule contre épaule, on distingue à mesure qu’ils s’approchent le léger tremblement qui les parcourt. Dans la lumière, le tressaillement devient plus vif, il naît depuis les épaules et se propage dans le haut du buste par de légères contractions.

Pichet Kluchun et Olé Khamchanla explorent ici la forme du duo, réduite à son expression scénique la plus épurée afin de ne rendre visible que la fluide propagation entre eux d’impulsions gestuelles. Pourtant tout semble à première vue opposer leurs danses respectives et l’énergie qu’ils y consacrent : tandis que l’un oscille doucement et conduit avec souplesse une onde de geste qui serpente depuis le bout des doigts, se propage du bassin à la nuque, l’autre déploie une gestuelle beaucoup plus sèche et ciselée, pourtant traversée de rebonds moelleusement amortis. De profil ou dos à nous, ils paraissent se livrer à l’expérience d’une transe partagée, dès lors que leurs bras en cercles s’entrelacent et qu’ils se rejoignent, encerclés par un mobile de néons sous lequel ils s’enserrent.

La danse du duo semble auréolée d’un calme profond parce que l’énergie intense qui les anime ne se disperse jamais : elle demeure concentrée au creux du ventre et l’abdomen se mue en nœud de forces et de tensions d’où jaillit une danse élastique, comme suspendue, redoublée par l’atmosphère musicale elle-même traversée de sourdes pulsations et de rythmes martelés comme des électrochocs.

Les jeux de lumière composent sur la scène deux faisceaux distincts en constant déplacement sous chacun desquels prennent place les danseurs : cet éclairage concentre tour à tour l’attention sur un geste, une attitude, à la manière d’un miroir grossissant, autant qu’il nous invite à embrasser d’un même regard les silhouettes des deux interprètes. La lumière souligne alors le cheminement d’une main apposée sur la nuque qui glisse le long des épaules, épouse la peau du biceps puis s’effondre avant de rejaillir, agitée par un tremblement presque maladif qui pourtant par le jeu de la persistance rétinienne évoque le volètement fugitif des insectes nocturnes.

Si les interprètes paraissent chacun convoquer dans leur danse des images hétéroclites, les affinités qui affleurent par instants requièrent pour le spectateur l’effort d’une réminiscence mémorielle et kinésique, lorsqu’il s’agit d’en saisir les jeux d’échos et de résonances : les gestes que l’un vient d’accomplir semblent quelques instants plus tard resurgir dans la danse de l’autre, tracer dans le noir des formes presque semblables mais dont seules diffèrent l’initiation et l’impulsion qui les guident. Ces mouvements partagés se fondent parfois l’un dans l’autre à la manière de véritables illusions d’optique, lorsqu’on vient à confondre les deux silhouettes pourtant vêtues de costumes identiques.

Vu au Tarmac, dans le cadre du Festival Faits d’hiver. Chorégraphie, interprétation Olé Khamchanla et Pichet Klunchun. Lumières Lise Poyol. Musique Léo Jourdain. Photo © Nattapas Jirasatit.