Photo Peter Hönnemann

Fruits of labor, Miet Warlop

Par Céline Gauthier

Publié le 6 décembre 2017

La chorégraphe et plasticienne flamande Miet Warlop et ses acolytes composent avec Fruits of labor un concert énergique et loufoque, véritable performance théâtrale autant que musicale. Une batterie, deux guitares et quelques micros composent le cadre d’une scénographie encombrée et tape-à-l’œil, où la cacophonie visuelle souligne l’harmonie mélodique.

Juchés sur une estrade de polystyrène, vêtus d’une combinaison à paillettes argentées ou d’une sobre tenue de dandy rockeur, les membres du quatuor nous tournent le dos et entonnent dans un chœur de voix douces une mélodie aux sonorités folk.

Le tissu blanc qui recouvrait leurs instruments est brusquement aspiré, et le concert commence. Pendant près d’une heure jeux de scène et de son se succèdent en cascade : un musicien longiligne et échevelé parcourt le plateau d’un pas cadencé et fait résonner alternativement chaque instrument d’un unique coup de balayette ; une pédale activée par la chanteuse en fond de scène est reliée à un bras mécanique qui marque le tempo sur la caisse claire. Peu à peu la scène se jonche de câbles colorés, de lambeaux de rideaux déchirés dans un crissement de tissu, piétinés par les musiciens qui assurent eux-mêmes l’installation des machines et instruments, affublés d’une lampe frontale.

Un air de rock s’estompe dans un chant distordu par leurs voix étouffées et caverneuses, quelques pas d’une démarche lunaire et entravée, puis un chanteur déclame une tirade d’opéra dans un français hésitant, des trémolos dans la voix.

Les instruments de musique et leurs accessoires sont ici employés tant pour leurs sonorités que pour les possibilités scéniques qu’ils offrent : les baguettes de batterie deviennent tour à tour les piques d’un toréador ou les clous d’une crucifixion pathétique ; fichés dans un cube de polystyrène ils figurent un jeu de mikado dont les tiges égrènent chacune une note. Aux instruments se mêle aussi un vaste inventaire d’objets : ils sont l’occasion de trouvailles ingénieuses comme ce disque laiteux apposé sur une platine qui révèle le long chuintement de la pierre ; parfois plus fantaisistes et superflues, lorsque la chanteuse munie d’un encensoir arrose la scène de sable blanc, qu’elle ramasse immédiatement à l’aide d’un aspirateur dissimulé dans une sculpture en forme de doigt.

Les chants puisent aussi dans les ressources rythmiques du geste, et les paroles d’un slam sont ponctuées par le bruit mat d’un dribble de basket. Un chanteur récite une ritournelle tout en enroulant d’une main une bande de tissu sur un socle rotatif ; la quenouille est bientôt arrosée d’une pluie qui s’abat en déluge sur la scène, les gouttes ruissellent en cascade sur les cymbales qui tintent d’un doux bruit blanc. L’averse s’apaise sur le plateau dévasté pour une dernière chanson, âpre et douce comme les éclairages rougeoyants qui balayent la scène encombrée des objets animés de leur propre rythme : une sphère blanche erre sur le plateau et parfois chute dans la fosse, la quenouille tourbillonne, le doigt-aspirateur pivote lentement sur son socle, tandis qu’un puissant jet d’eau coloré recueilli dans une caisse évidée dessine un arc de cercle au dessus des chanteurs.

Miet Warlop et ses musiciens touche-à-tout proposent ici un concert théâtral, pour une musique que l’on écoute mêlée aux jeux de scène. La cohérence de cette exubérance ne tient parfois qu’à un fil et la débauche d’énergie masque quelquefois la justesse de leur jeu musical ; cependant on ne peut qu’apprécier leur hardiesse vivifiante.

Vu au Nouveau Théâtre de Montreuil, dans le cadre du festival Mesure pour Mesure. Mise en scène Miet Warlop. Musique et performance Miet Warlop, Joppe Tanghe, Wietse Tanghe, Tim Coenen, Seppe Cosyns. Création lumières Henri-Emmanuel Doublier. Création son Saul Mombaerts, Bart van Hoydonck. Photo © Peter Hönnemann.