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Maxime Kurvers, La naissance de la tragédie

Par François Maurisse

Publié le 5 décembre 2018

Pour sa nouvelle création sobrement intitulée La naissance de la tragédie, le metteur en scène Maxime Kurvers persiste dans son désir d’épure du médium théâtral occidental, par le retour à sa source primaire et désosse ainsi la tragédie grecque, par le biais de ce qu’il reste de l’oeuvre d’Eschyle et de son dispositif de représentation. Ses précédents opus Pièces courtes 1-9 (2015), puis Le Dictionnaire de la musique (2016), entreprenaient déjà d’élaguer la discipline théâtrale de ses effets, ses récits, sa fiction pour n’en garder que les affects, les structures de représentation et les dimensions critiques. Pour La naissance de la tragédie, c’est un unique comédien, Julien Geffroy, qui prend en charge toute la représentation, en se faisant l’intermédiaire d’un discours sans âge, jusqu’à se laisser totalement envahir par l’émotion propre du récit qu’il transporte.

Faire spectacle

Des milliers d’années après ses premiers balbutiements athéniens, le dispositif de représentation du théâtre reste toujours le même. Lorsque le comédien commence, sur le mode de la conférence, il est revêtu d’un costume composite accumulant les lambeaux de lourds tissus, de bijoux, de couvertures de survie et de kimonos japonais. Il raconte l’histoire de la naissance du théâtre et et propose aux spectateurs, dans un long monologue didactique, de se rendre compte de l’actualité de sa mécanique. Dans ses fondements irréductibles, il est le même qu’il y a 2500 ans : une assemblée de citoyens (plus ou moins consciente ou active) face à un espace dans lequel des acteurs prennent en charge un discours.

Maxime Kurvers choisit de travailler sur une simple hypothèse, celle d’un théâtre qui ne permettrait de faire spectacle à l’aide d’une seule et unique adresse, nue, tendue et continue pendant tout le temps que dure la représentation. Il assume ainsi que le spectacle n’a pas véritablement besoin de ses effets, de l’objet ou de l’image, mais seulement d’un acteur. Celui-ci déploie alors un espace interne, peuplé de fictions, de récits, de son propre imaginaire, pour le renvoyer à la face des spectateurs, dans tout son profane ou son vernaculaire.

Une présence sur le rivage

Julien Geffroy, assis sur le bord du plateau, est une présence sur le rivage, planté dans un espace liminal. Le comédien participe d’un côté à la réalité matérielle d’une situation performative donnée, empruntée à la tradition de la représentation théâtrale occidentale et observe de l’autre un monde infini, celui de la narration, de la rhétorique, du politique, qui contient en son sein des milliers d’années d’histoires, de morts, de ferveurs et de peines. La naissance de la tragédie laisse entrevoir le vertige de la représentation qui ne peut advenir sans la formule magique qui fait théâtre, une succession de gestes ritualisés, dont la scène de libations est une parfaite illustration. Par ce culte, elle propose aux spectateurs d’accueillir un ailleurs narratif, temporel et géographique.

Le moyen même d’apparition du théâtre et de la représentation devient une fin en soi et ne rentre pas au service d’une quelconque diégèse. Dans cette téléologie vertigineuse, Maxime Kurvers confère tout le pouvoir aux spectateurs, qui seraient invités à empiler les briques qui leurs sont offertes, pour construire eux-mêmes l’édifice de la représentation. Ils se laisseraient ainsi emporter par les déversements dont seul le langage est capable, une fois abandonnés à l’émotion pure d’un texte au premier degré.

Vu à La Commune centre dramatique national d’Aubervilliers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Conception et mise en scène, Maxime Kurvers. Avec Julien Geffroy et Caroline Menon-Bertheux. Costumes, Anne-Catherine Kunz. Lumières, Manon Lauriol. Répétiteurs, Claire Rappin et Charles Zévaco. Photo Willy Vainqueur.