Par Guillaume Rouleau
Publié le 18 mai 2016
D’après une histoire vraie, expression récurrente dans la promotion littéraire et cinématographique pour renforcer la crédibilité de l’œuvre, est le titre donné par Christian Rizzo à l’une de ses pièce dans laquelle il raconte par la scène une histoire vécue à Istanbul en 2004. « À quelques minutes de la fin d’un spectacle auquel j’assiste, surgit comme de nulle part une bande d’hommes qui exécute une danse folklorique très courte et disparaît aussitôt. » Instant bref qui le saisira. Mais plutôt que de recréer l’instant, Christian Rizzo s’en servira pour questionner les notions de réminiscence et de communauté.
2013 était une année faste pour le nouveau responsable du Centre Chorégraphique National de Montpellier Languedoc-Roussillon (ICI), avec la création de trois pièces : le solo pour Kerem Gelebelek C’est l’œil que tu protèges, la collaboration avec De quoi tenir jusqu’à l’ombre pour la Compagnie de l’Oiseau-Mouche et D’après une histoire vraie, saluée au 67e festival d’Avignon, qui réunit huit danseurs et deux batteurs, tous masculins. Le souvenir de cette nuit stambouliote n’est pas dans le décor, dépouillé, une toile blanche dont la bordure droite est recourbée, une chaise en osier au premier plan à droite sur laquelle est posé un imperméable avec, à côté, une plante, un livre. Les deux batteries acoustiques sont au fond à gauche, au même niveau, surélevées d’un mètre. Les murs noirs concentrent quant à eux le regard sur ces zones éclairées de la mémoire.
Le souvenir est dans l’action des corps. Ceux des percussionnistes, Didier Ambact et King Q4, qui agissent sur leurs instruments. Les deux batteries permettent une polyrythmie qui évoque l’Afrique et le proche Orient mais aussi le rock psychédélique occidental. Le rythme est soutenu, les sonorités variées, utilisant toms, caisses claires, cymbales et grosses caisses l’un avec l’autre, l’un après l’autre, l’un contre l’autre aussi. Le souvenir est, d’autre part, dans le corps des danseurs, qui agissent seuls et à plusieurs. Ils portent des habits du quotidien, urbains, sombres : jeans, chemises, t-shirt. Leurs pieds sont nus. Leurs battements contre le sol répondent aux battements des instrumentistes, avec le claquement des mains qui s’attrapent et les frottements des tissus. Ces danseurs, qui se connaissent, s’apprécient, arrivent comme par une nuit claire, chaleureuse, parfois orageuse, comme le suggèrent les éclairages de Caty Olive.
À partir d’un souvenir, leurs danses en provoquent d’autres. Danses au pluriel. Danses singulières. Danses qui évoquent la tradition et son actualisation. Les bras sont mobilisés du début à la fin. Levés pour adresser une mise en garde, une préparation, un équilibre. Les bras se saisissent, avec douceur et vigueur, se posent sur les épaules ou au niveau des hanches lorsque les danseurs s’alignent, à deux ou à huit, se croisent dans le dos pour mettre en avant le déplacement des jambes, rapide, précis. Les danseurs liés par les bras vont même passer les uns sous les autres, se déplaçant le long de la scène, donnant un mouvement aux formes proches de celles d’un feu ou de l’ivresse. Christian Rizzo élabore une histoire à partir d’une histoire. Fait passé mais récit au présent. Souvenir qui mettra presque dix ans à devenir une chorégraphie. Distance avec l’évènement qui en engendre un nouveau à chaque représentation, en un aller-retour entre ce qui s’est passé et le spectacle donné.
Danses méditerranéennes et masculines dominent donc. Elles interrogent le commun entre hommes. L’affrontement, l’entente, la festivité sont interprétés avec un plaisir non feint par ces corps bruns qui montrent une danse au masculin, fraternelle. Une danse qui montre une communauté avec ses aspirations propres, qui agirait selon une suite de rythmes communs et individuels. Rythmes qui imposent de s’adapter mais sans éliminer. Une danse groupée qui partirait d’une histoire et la transmettrait, en la modifiant, par le rappel, l’oubli et l’ajout en sachant qu’une histoire vraie n’est pas la vraie histoire. Comme cette chronique d’une histoire dansée au pôle culturel d’Alfortville dont on gardera longtemps le souvenir.
Vu au pôle culturel d’Alfortville. Conception, chorégraphie, scénographie et costumes Christian Rizzo. Avec Fabien Almakiewicz, Yaïr Barelli, Massimo Fusco, Miguel Garcia Llorens, Pep Garrigues, Kerem Gelebek, Filipe Lourenço ou Smaïn Boucetta, Roberto Martínez. Photo © Marc Domage.
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