Photo © Bart Grietens

Extended Play, Ula Sickle & Daniela Bershan

Par Céline Gauthier

Publié le 30 mars 2018

Extended Play marque la seconde collaboration entre la chorégraphe Ula Sickle et l’artiste visuelle Daniela Bershan. Pour cette pièce – dont le titre fait référence aux EP, un format de disque très répandu dans la musique électronique – les deux comparses ont mené une réflexion sur les modalités de surgissement du chant et de la danse, au centre d’un plateau vide : cinq danseurs témoignent des réminiscences de musiques connues de toute une génération, convoquées par la danse ou par quelque artifice scénique.

Les spectateurs ont silencieusement fait cercle autour du groupe de danseurs, assis à même le sol. Le quintet bruisse et oscille lentement ; l’un d’entre eux souffle et murmure au micro, tous déambulent sur les genoux d’une démarche très féline, glissent sur la plante des pieds : la scène résonne d’un doux chuintement.

Extended Play se déploie par l’alternance de solos et d’unissions, au fil d’une chorégraphie minutieusement écrite qui puise dans les codes du hip-hop – par ailleurs rappelés par la panoplie des danseurs, vêtus de baskets, de genouillères et de survêtements. Les puissants battements de bras sont ponctués de claquements de doigts, les ondulations du buste mâtinées de quelques déhanchés de twerk. Lorsque les danseurs battent la mesure au sol on en ressent les vibrations, qui introduisent une large gamme de jeux de rythmes : une mélodie saccadée tranche sur la fluidité des mouvements, une pulsation accentuée souligne la flexion d’une articulation ; la musique se fait ressort et caisse de résonance des gestes.

Parfois fusent des cris conquérants, lancés en écho à la déflagration d’une énergie collective transmuée en courses effrénées par lesquelles les danseurs se dispersent comme une nuée d’oiseaux et recomposent la structure scénique. La pièce donne ainsi à voir de nombreux solos : des danses parfois solitaires lorsqu’ils se trémoussent avec langueur comme sur la piste d’un night-club, les genoux fléchis et la tête relâchée, les yeux mi-clos. Par instants le quintet semble davantage reproduire sur scène l’atmosphère des battles et chaque danseur occupe à son tour le centre du plateau pour esquisser quelques gestes, prendre le micro et chanter. Leurs voix distordues par un synthétiseur modulent vocalises et onomatopées, empruntées aux airs les plus connus de la pop music ou de l’électro ; à la manière d’un karaoké ils en répètent à l’envi les refrains.

Tels des chauffeurs de salle ils s’agenouillent devant le public et lui font reprendre en chœur les refrains, tandis que le plateau balayé de faisceaux de lumière rouge disparait dans un nuage de fumée. Plus loin deux danseuses manipulent les tablettes numériques qui régissent les choix de la playlist musicale : si elles semblent s’abstraire de la scène de danse, on remarque pourtant leurs discrets hochements de tête, une légère secousse des épaules qui signalent qu’elles demeurent attentives aux gestes de leurs partenaires. La monotonie de la composition et la pauvreté de certaines phrases chorégraphiques est parfois contrebalancée par de belles images, comme ce duo accompagné d’immenses drapeaux portés à bout de bras, les mains agrippées au manche, le dos courbé sous le poids, une jambe en pivot autour de laquelle ondoie le tissu, sur la bande-son d’une foule en délire.

Vu au 104, dans le cadre du festival Sequence Danse Paris. Concept et mise en scène Daniela Bershan, Ula Sicklecréation. Avec Popol Amisi, Emma Daniel, Antoine Neufmars, Andy Smart, Lynn Rin Suemitsuapp. Son Nicolas Vanstalle. Lumières Ula Sickle et Elke Verachtert. Costumes, stylisme Sabrina Seifried. Photo © Bart Grietens.