Par Wilson Le Personnic
Publié le 13 décembre 2016
D’origine canadienne, l’artiste polymorphe Antonija Livingstone vit et travaille en Europe depuis maintenant une quinzaine d’années. Quiconque l’a vue sur une scène se souvient d’elle : grande, élancée, rousse et au regard perçant, elle électrise le plateau par sa seule présence. Sa rencontre avec la scénographe française Nadia Lauro, au début des années 2000, ouvre un dialogue fécond entre performance et arts visuels. Après une première collaboration en 2012 avec Fée, elles co-signent aujourd’hui Études hérétiques 1-7, création fantasmagorique proche d’un rituel contemporain où cohabitent danseurs, vanniers, archivistes, amazones, masseurs d’oreilles et un gastéropode.
Scénographe et plasticienne française, Nadia Lauro cultive depuis plus de vingt ans l’art d’inventer des dispositifs sensoriels immersifs, au croisement de la danse et de l’installation. Fruit de la collaboration avec Antonija Livingstone, Études hérétiques 1-7 est une incroyable installation-performance au sein de laquelle leurs vocabulaires dialoguent pleinement. Le sol et les gradins sont recouverts d’une fine moquette turquoise pastel, transformant l’espace en une sorte de piscine vide et silencieuse. Trois grandes sculptures en aluminium, semblables à des livres ouverts, sont disposées sur le sol, jalonnées par une ligne de huit cloches helvétiques et deux coquillages géants. Au cœur de ce paysage flottant évolue Winnipeg Monbijou, un escargot géant compagnon de scène aussi insolite qu’attachant.
Escortés par un homme, les spectateurs pénètrent déchaussés dans ce monde énigmatique, accueillis par un rituel silencieux : Kennis Hawkins, Antonija Livingstone, Stephen Thompson et Nadia Lauro, vêtus de denim et gantés de blanc, manipulent de grandes feuilles plastifiées réfléchissantes. À l’écart, une rangée de silhouettes aux allures de sirènes, lampes frontales allumées et longues perruques bleu clair, guettent l’espace. Leur calme spectral contraste avec l’étrange ballet des performers qui, avec une précision rituelle, déposent les feuilles miroitantes sur les plaques d’aluminium au sol. Ces gestes évoquent une bibliothèque imaginaire, un lieu de mémoire fluide où les archives sont vivantes, mouvantes, ouvertes à l’interprétation.
Dans cet univers aquatique, les partitions chorégraphiques s’entrelacent. Une jeune femme dessine des mouvements au sol avec un coquillage, un homme tresse un panier en arrière-plan, des massages d’oreilles circulent de spectateur en spectateur. Winnipeg Monbijou explore les corps et les mains tendues. L’espace sonore enveloppe l’ensemble d’un tapis de cloches, de bruissements aquatiques et de vibrations diffuses. Ce concert organique, hérité de précédentes pièces de Livingstone comme Culture & Administration, construit peu à peu un rituel collectif où les sens s’éveillent et s’imbriquent.
Un brusque changement vient fissurer cette contemplation. Antonija Livingstone et Stephen Thompson, torse nu, rompent le calme par un duo frénétique, brassant l’air de leurs bras dans une transe quasi chamanique. Les spectateurs sentent l’énergie brute passer tout près de leurs visages. Dans ce chaos naissant, les portes s’ouvrent, le chœur de sirènes s’échappe. Au loin, des chants anciens résonnent. Ceux qui le souhaitent reçoivent une partition : le rituel continue ailleurs. Avec Études hérétiques 1-7, Antonija Livingstone et Nadia Lauro invitent à une traversée sensible et mystérieuse, offrant une expérience esthétique et sensorielle d’une rare intensité
Vu à la Ménagerie de verre dans le cadre des Inaccoutumés. Conçu et réalisé par Antonija Livingstone Nadia Lauro. Photo Géraldine Perrier-Doron.
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