Photo Philippe Savoir

Pour Ethan & Avec Anastasia, Mickaël Phelippeau

Par Céline Gauthier

Publié le 19 janvier 2016

Pour Ethan, Avec Anastasia, deux prénoms pour introduire la scène nue. Terrain de jeu, territoire délimité à la craie par les gestes méticuleux d’Ethan, traversé par les contorsions d’Anastasia. Le huis clos du corps adolescent, ses errances et ses souvenirs. Dans la continuité de ses Bi-portraits, initiés en 2003, le chorégraphe Mickaël Phelippeau nous livre ici un diptyque fragile et délicat. En moins d’une heure, chacun des deux danseurs, interprètes amateurs, met en scène les fragments d’une biographie dansée. Vêtus d’un t-shirt jaune, signature assumée de l’artiste, ils traversent sous nos yeux les états tantôt mélancoliques, tantôt extatiques d’une jeunesse qui s’achève.

Ethan le premier s’élance dans un échauffement athlétique, moulinets de bras et courses effrénées. Peu à peu l’exercice s’amenuise en figures hésitantes, sur l’équilibre incertain de ses jambes chancelantes. Ethan décrit ses mouvements, leur histoire, parfois les énonce sans les faire ; geste romancé, geste manqué ? Sans transition il dribble avec son ballon au rythme puissant de Nightcall de Kavinsky ; on reste subjugué par l’énergie qui s’en dégage, corps virtuose, métronome parfait. Lorsque soudain la mécanique se désagrège, ses bras noueux battent l’air et se tordent, ses gestes à peine esquissés s’achèvent en une longue prostration.

Avec Anastasia aussi la danse s’apparente à un rituel, presque une prière : longuement répétée les yeux clos, dans un profond silence, elle se déploie ensuite et jaillit en musique. De ces instants suspendus naissent les souvenirs : Ethan sa première expérience de la scène, « il y a deux ans », Anastasia sa participation au concours des Mini-Miss France 2010. Elle, parodie leurs déplacements codifiés, la marche à petits pas, les pauses au sourire forcé, puis s’immobilise lorsque son souvenir s’estompe. Lui, fredonne un chant dont on saisit quelques bribes éparses. Puis sa voix s’amplifie ; déambulation sonore qui le mène à la course, jusqu’à quitter la salle. Un instant de grâce lorsqu’il revient, un duo partagé avec Mickaël, quelques minutes d’une danse à deux où le chorégraphe le suit des yeux, l’enlace ; ils se confondent.

Temps suspendu vite désamorcé par la voix d’Anastasia, amplifiée par un micro depuis les coulisses, qui avant même d’entrer en scène évoque sa « dernière danse » : celle de l’apothéose, lorsque son corps tout entier semble mu par la force de ses longues tresses blondes qu’elle fait tournoyer autour de sa tête, jusqu’à l’épuisement. La scène se mue en espace intermédiaire, labile : là où surgit le souvenir, où le corps se compose, s’imagine. Ethan rêve la « danse de ses 18 ans », Anastasia « son mariage à 27 ans ». Sommes-nous les spectateurs ou le reflet de ces désirs adolescents ? Dans la salle, de nombreux jeunes rient lorsque Anastasia imite l’accent guinéen de sa mère, un babillage amplifié jusqu’à perdre son sens, qui s’achève dans un immense éclat de rire. Elle le saisit dans une photo du public que les spectateurs découvriront à la sortie de la salle.

Ces portraits en demi-teinte, dont la subtilité et l’insolence ne sont pas sans rappeler Jours Étranges de Bagouet, nous touchent parce qu’ils mettent à nu l’ambivalence de ces jeunes danseurs, encore frêles mais bientôt puissants. Seuls en scène, Ethan puis Anastasia incarnent avec subtilité des instants d’épiphanie chorégraphique, une énergie latente magnifiée par le travail attentif de Michaël Phelippeau.

Vu à l’Onde, Maison des Arts de Vélizy-Villacoublay. De Mickaël Phelippeau. Avec Ethan Cabon et Anastasia Moussier. Lumière Anthony Merlaud. Photo Philippe Savoir.