Photo Élisabeth Carecchio

Ça ira (1) fin de Louis, Joël Pommerat

Par Ludivine Ledoux

Publié le 11 novembre 2015

Il est une révolution, chargée d’actualité, dotée d’un public à la lisière d’un futur en résonnance avec le passé. Joël Pommerat se tient à l’écart de la reconstitution, car l’enjeu est présent. L’auteur-metteur en scène joue subtilement d’anachronismes pour induire délicatement l’idée que nos conflits passés portent nos combats présents. Le regard ne prend pas de recul, il se plonge dans le ventre bouillonnant d’une révolte qui gronde et s’élève.

Assorti à la conjoncture historique, le décor raconte une colère qui grandit. Deux hauts murs noirs se dressent et assombrissent le plateau, qui à mesure du temps vont s’ouvrir pour déployer sur scène l’immensité de la révolte. Au commencement, une mise en scène propre aux prises de paroles officielles, solennelle et pleine de noirceur, réduite à la sobriété d’une longue table et de quelques gerbes de fleurs. Les représentants du pouvoir, alarmistes et déjà accablés, posent le constat d’une menace puissante. Le public est sous l’emprise sonore d’une foule révoltée et combative, souvent suggérée en hors champ par la lumière.

« Ce que veut le roi, veut la loi ». Mais la justice est un piètre principe lorsqu’il est attribut d’une royauté qui se croit vivre en altitude. Alors, la parole du peuple l’emporte sur celle d’un roi érodé par son pouvoir. On y voit d’avantage l’homme que le politique, trahit par ses attitudes fragiles. Sa reine est une brèche ouverte de laquelle émane la violence d’un drame familial. Devant une France qui se lève, et avec pour faux alliés une hiérarchie politique démantelée, la chute se profile. Face à tant d’abandon et d’aveuglement, l’illégalité est parfois acte de justice, et le peuple ne s’y méprend pas.

Ca ira (1) fin de Louis est né des comédiens à l’œuvre. Les répétitions sont un temps d’écriture qui s’actualise à mesure des improvisations, nourries en amont par un apport historique dense. Porteurs d’une spontanéité convaincante, les comédiens s’époumonent à défendre les idées qu’ils incarnent. La complexité humaine se matérialise dans le croisement de trajectoires différentes, car chaque acteur interprète une palette de personnages. Le spectateur est noyé dans une cacophonie dont il importe finalement peu d’en ingérer la totalité du sens, puisqu’il s’agit d’avantage de se questionner face à l’effervescence d’un peuple en apprentissage de la liberté.

Tout comme furent ces instants révolutionnaires, le spectacle est une temporalité qui s’éprouve. Quatre heures de tentatives à ne pas s’essouffler devant l’endurance d’acteurs enragés, qui s’enivrent à l’idée d’être libres. L’acte théâtral ne se réduit pas aux frontières scéniques, spectateurs et comédiens se côtoient dans les gradins et appartiennent à la même assemblée. Le spectateur trébuche au milieu de joutes verbales, qui le plongent dans l’ivresse intellectuelle puis l’épuisent, malmené entre l’euphorie du désordre et la gravité des propos.

L’Histoire couvre des faits passés, que l’on perçoit plus habilement lorsqu’ils sont regardés au prisme du présent. Elle a ceci de fictionnel et de poétique que l’on porte un regard sur des faits révolus qui mènent à des suppositions, des interprétations, mais que l’on ne rejouent jamais. Les comédiens bâtissent cette révolte par une volonté de non exactitude, afin d’en proposer un regard qui se focalise autre part que sur les conséquences historiques que l’on connait. Tout comme la révolution témoigne d’un peuple qui se réinvente, cette impossibilité de l’Histoire d’être précisément restituée fait de son interprétation une création en marche.

Vu au Théâtre Nanterre Amandiers. Une création théâtrale de Joël Pommerat. Scénographie et lumière Éric Soyer. Costumes Isabelle Deffin. Son François Leymarie. Photo Élisabeth Carecchio.