Photo cmc bosch

Jérôme Bosch : Le Jardin des délices, Marie Chouinard

Par Margot Baffet

Publié le 5 octobre 2017

Entre ombre et lumière, l’œuvre de Jérôme Bosch s’anime par une gestuelle singulière et reconnaissable, celle de Marie Chouinard. Lorsqu’elle imagine cette chorégraphie en 2016, elle est également nommée directrice de la danse de la biennale de Venise, et récompensée de quatre prix en Italie. Élue meilleure chorégraphe par le prix Positano, son film Marie Chouinard : le sacre du printemps (2016) est aussi reconnu meilleure œuvre internationale de l’année. Les prix du Gouverneur général des arts du spectacle et Walter-Carsen la récompense respectivement pour la meilleure réalisation artistique, et tant qu’« excellence en arts de la scène ».  L’originalité de son univers fait d’elle une étonnante ambassadrice artistique encore aujourd’hui.

« De la même manière qu’un chorégraphe peut partir d’une musique pour créer, je pars du tableau de Bosch. Et de la même manière qu’un chorégraphe peut se « coller » (ou pas) à une partition musicale, j’ai choisi de me coller au tableau de Bosch, à son esprit. Face à un chef d’œuvre, le bonheur de s’incliner! » – Marie Chouinard (Février 2016). Telle semble être l’ambition de l’audacieuse québécoise. A l’occasion du 500e anniversaire de la mort du peintre, la commémoration prend tout son sens. Par la forte personnalité de son interprétation, elle signe un hommage contemporain dans lequel la beauté côtoie l’étrange avec élégance.

Le tableau-triptyque est transposé en trois actes dans lesquels sont interprétés successivement le jardin des délices (panneau central), l’Enfer (panneau de droite) et le Paradis (panneau de gauche). Le premier acte ouvre le spectacle sur la délicieuse curiosité du tableau avant de nous plonger dans le chaos jubilatoire de l’enfer puis enfin du doux paradis. A la manière du peintre, Marie Chouinard construit plusieurs saynètes dans lesquels on peut lire la représentation d’un monde aux multiples facettes, parfois harmonieux, d’autres éclaté.  L’intensité chaotique de l’acte intermédiaire contraste avec la fluidité des deux autres. La folie est poussée à son paroxysme avec la déstructuration de la composition et l’intégration des effets sonores : la prise de risque est admirable.  Il est toutefois un peu abrupt de clore le spectacle sur tant de stabilité géométrique après la complexité d’une telle tempête.

Par leur éloquence et leur nudité sur-réelle, les dix danseurs frappent inévitablement notre imaginaire. Ces créatures diaphanes peuplent la scène comme elles habiteraient nos songes les plus marquants. Entre érotisme subtil et effroi nuancé, une gestuelle hautement expressive se dessine sans pour autant basculer dans le subversif. Cette idée de danse théâtralisée rejoint l’esprit de Pina Bausch et Miet Warlop, dans l’évocation également d’une certaine vanité contemporaine.

Telle une musicienne, Marie-Chouinard compose une gamme d’émotions par la puissance d’évocation de symboles :  le résultat est incroyable. Sa grammaire du geste témoigne de toute la maturité d’un style qui s’est affirmé et ne cesse de surprendre au cours du temps. Au-delà d’une grande maîtrise technique, c’est la particularité d’un monde qui prend vie sous nos yeux comme l’union impossible de deux époques. Délicieux microcosme !

Vu au Théâtre de Maisonneuve a Montréal, présenté par Danse Danse. Chorégraphie, scénographie, lumière et costumes vidéo Marie Chouinard. Photo © Sylvie-Ann Paré.