Photo blablabla ©Martin Argyroglo

Blablabla, Encyclopédie de la parole

Par François Maurisse

Publié le 24 octobre 2017

Depuis plus de dix ans, l’Encyclopédie de la parole, menée par le metteur en scène Joris Lacoste, s’occupe à dresser un atlas du langage. Sous la forme de spectacles, de performances ou de conférences, il s’agit de rendre compte du paysage sonore dans lequel l’individu évolue toute sa vie, l’environnement audio auquel il est confronté. Des extraits sonores sont récoltés, archivés, étudiés et mis en scène, dans une série de productions scéniques, à l’image de Parlement (2009), solo pour Emmanuelle Lafon, Suite n° 1 ‘ABC’, (2013), pour vingt-deux interprètes, ou encore Suite n° 2 (2015) pour cinq interprètes, mis en musique par Pierre-Yves Macé. Mis en scène par Emmanuelle Lafon pour Armelle Dousset, Blablabla est l’opus jeune public de la série, s’attachant à éprouver des extraits issus du background audio-visuel dans lequel nous baignons dès le plus jeune âge.

Alors que les spectateurs entrent dans la salle, Armelle Dousset est déjà présente au plateau, assise, des écouteurs enfoncés dans les oreilles. Elle semble écouter des extraits à partir d’une tablette contrôleur midi, et en singe la répétition, en silence. Ensuite, elle ôte ses écouteurs et diffuse à l’ensemble de la salle un message d’information de la sncf, des extraits d’émissions de télévision grand public, jusqu’à petit à petit, par la reprise et l’imitation, rentrer elle-même en état de jeu. Elle se lève, insistant sur la musicalité des phrases choisies, amplifiant la théâtralité des accents comme pour en faire ressortir l’artificialité, exagérant les tons de voix aidée par les effets audios de son micro.

Le texte de la comédienne est un collage de différents extraits qui n’ont a priori aucun rapport les uns avec les autres. Le discours est plutôt décousu, les enchaînements absurdes, aussi surprenant que drôles. Alors que les enfants présents dans la salle s’amusent à deviner l’origine de l’extrait joué devant eux, la superbe Armelle Dousset, fascinante de fluidité et d’aisance, va puiser ses références aussi bien dans le cinéma (on reconnaît des scènes d’Harry PotterLe Hobbit … ) que dans la télévision ( Peppa PigKoh Lanta …), internet (on reconnaît les imitations de youtubeurs célèbres, Norman, Squeezie, de vidéos virales) ou la vie quotidienne (l’institutrice à bout de nerf ou la dentiste particulièrement précautionneuse). Restant la plupart du temps dans un univers rattaché à l’enfance, le montage permet également quelques saillies moins drôles, extraits de discours politiques ou d’informations journalistiques qui constituent également une partie des paroles quotidiennes auxquelles les enfants peuvent être exposés.

Dans une énergie entraînante, Armelle Dousset, polymorphe, incarne la pluralité des discours, composant avec les mots une symphonie de registres et de tons. Qu’elles soient de l’ordre de la fiction ou du documentaire, toutes ces saynètes prennent place dans une large cartographie ancrée dans le réel, dont les ramifications, sont plus complexes qu’il n’y paraît. À la fois critique, distanciée et follement tourbillonnante, cette représentation est à l’image de l’évolution que connaît notre cadre médiatique : plurielle et cacophonique.

Vu au Théâtre Paris-Villette dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Conception Encyclopédie de la parole, composition Joris Lacoste, mise en scène Emmanuelle Lafon, Interprétation Armelle Dousset. Photo © Martin Argyroglo.