Photo © Danny Willems

(B), Koen Augustijnen & Rosalba Torres Guerrero

Par Wilson Le Personnic

Publié le 30 janvier 2018

Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero sont deux figures actives du champs chorégraphique belge. Koen Augustijnen a longtemps officié au sein des Ballets C de la B, notamment pour le chorégraphe Alain Platel, Rosalba Torres Guerrero a quant à elle été interprète pendant plusieurs années pour la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker. Ensemble, ils ont créé en 2014 la pièce à succès Badke, variation personnelle et déchaînée du Dabke, danse traditionnelle arabe, pour dix danseurs palestiniens. Avec leur nouvelle création sobrement intitulée (B), les deux artistes continuent d’aller à rebours des codes établis et des conventions en réunissant sur un même plateau des danseurs et des boxeurs professionnels.

Du ring au plateau de danse

Et si la pratique de la boxe n’était pas si éloignée de celle de la danse ? Et si un uppercut pouvait être aussi virtuose qu’un geste chorégraphique ? Qui n’a jamais décelé dans la silhouette d’un boxeur sur un ring les mêmes tensions que celles qui habitent corps d’un danseur sur une scène ? Ces questions semblent avoir animé très tôt la recherche de Koen Augustijnen : « Ce projet a commencé à germer il y a quelques années lorsque j’ai vu au cinéma le film documentaire When we were Kings (1996) de Leon Gast, sur le combat de boxe légendaire entre Mohammed Ali et George Foreman à Kinshasa en 1974. J’étais ressorti du cinéma exalté et plein d’énergie. (…) À l’époque, contrairement aux autres boxeurs, Mohammed Ali dansait presque autour de ses adversaires pour les provoquer. C’est fascinant de voir ce basculement s’opérer, lorsque les mouvements et la corporéité du boxeur deviennent similaires à ceux d’un danseur… ».

De nombreux projets témoignent de l’intérêt des chorégraphes pour la figure du boxeur et ses attitudes codifiées : citons notamment K.O.K. de Régine Chopinot en 1988, ou plus récemment Boxe Boxe de Mourad Merzouki en 2010. Avec (B), Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero ont fait le pari de réunir au plateau des danseurs et des boxeurs professionnels, véritable défi qui n’était pas gagné d’avance, comme le révèle Koen Augustijnen : « Constituer l’équipe aujourd’hui présente sur le plateau a été un long travail fastidieux : j’ai fréquenté plusieurs salles de boxe à Bruxelles et Charleroi, j’ai rencontré des coachs qui m’ont aiguillé vers des boxeurs qui étaient potentiellement prêt à se mettre en danger pour des propositions comme celle-ci. Nous avons rencontré de nombreux professionnels – des vrais champions boxes – mais ils ne se sentaient pas à l’aise avec les improvisations ou face au statut « chorégraphique » du projet. Pour un boxeur, participer à une pièce de danse n’est pas une chose simple, c’est une question de caractère, mais aussi une question d’ouverture d’esprit. Du coté des danseurs, ils ont également fait un gros travail en parallèle des répétitions afin de se familiariser avec cet univers : nous sommes allé voir des matchs ensemble, un coach est venu nous donner des cours, nous transmettre des techniques d’échauffement… ».

Brouiller les archétypes

Sept danseurs et trois boxeurs interagissent au coeur d’une scénographie qui ne laisse aucune place au doute : des sacs de frappe de part et d’autre du plateau, un sol recouvert de linoléum bleu, des cordes à sauter, des gants de boxe : nous sommes bien face à un ring. Construit sous la forme d’une succession de courts tableaux aussi bien comiques que dramatiques, (B) explore différents aspects de la figure du boxeur, dont la supposée part d’ombre qu’il peut cacher : « Même si les boxeurs sont très entourés, ce sport reste une pratique assez solitaire. En les côtoyant, je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai paradoxe dans l’imaginaire collectif entretenu autour de ces sportifs. Au-delà du show auquel on assiste en tant que spectateur, les boxeurs sont généralement seuls, ils possèdent chacun une fragilité insoupçonnée virgule derrière cette image de force qu’ils renvoient ». Une projection vidéo sur le fond de scène vient également parfois illustrer les méandres introspectifs du boxeur et la diffusion de douces musiques telles que O Solitude d’Henry Purcell vient teinter d’une tendre mélancolie la figure rocailleuse du combattant.

La performance explore à gros traits les ambivalences en tension dans figure du boxeur, le corps n’est plus ici un simple instrument de violence, mais participe volontiers d’une certaine sensualité « Les matchs de boxes sont de vrais shows, les spectateurs sont là pour voir un spectacle, il y a une fascination du public dans cette mise en danger des corps, un vrai appétit de sang (…) moi j’y vois également une puissance érotique des corps, dualité qu’on a essayé de mettre en jeu dans notre spectacle : entre Eros et Thanatos ». En effet, certains duels mis en scène entre deux hommes surenchérissent parfois à l’endroit des archétypes virils et masculins, transformant parfois les coups en étreintes, les adversaires en amants.

Métisser les disciplines

À l’instar de Badke qui réunissait des interprètes issus de cultures différentes, (B) concrétise également le désir de réunir des individus issus de disciplines et de cultures a priori dissemblables. Qu’ils viennent de la danse contemporaine, la boxe, le breakdance, le taekwondo, ou qu’ils soient originaires du Cambodge, de la Palestine, du Venezuela, de Belgique, d’Espagne ou d’Italie, ils sont ici unité. Aux yeux de Koen Augustijnen, ce mélange pluriel fait aujourd’hui la force de la Belgique : « (B), c’est le B de Boxe, le B de Belgique, le B de Bruxelles. Bruxelles est une ville multiculturelle, c’est une véritable métissage. Lorsqu’on va dans les groupes de boxes à Bruxelles il y a toutes les nationalités, des flamands, des wallons, des étrangers de tous les horizons, de toutes les religions et il n’y a aucun problème. (…) Entre nous, on dit B – « be » (être) – la boxe est aussi quelque part une manière d’exister, d’être quelqu’un ».

Vu à Charleroi Danse. Concept et chorégraphie : Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero, en collaboration avec les danseurs/boxeurs : Arturo Franc Vargas, Giulia Piana, Tayeb Benamara, Sophia Rodriguez, Karim Kalonji,Mohammed Smahneh, Yipoon Chiem, Alka Matewa, Samuel Koussedoh et Sinan Durmaz. Dramaturgie Dirk Verstockt. Musique Sam Serruys. Vidéo Lucas Racasse. Lumière Michel Delvigne. Photo © Danny Willems.