Photo © Rui Palma copy

APERÇU – 5 Room puzzle, Tânia Carvalho

Par Céline Gauthier

Publié le 13 janvier 2017

Pour sa dernière création, APERÇU – 5 Room puzzle, la chorégraphe portugaise Tânia Carvalho nous livre un élégant trio avec les danseurs Luis Guerra et Marta Cerqueira. « 5 rooms puzzle » comme une métaphore des relations humaines douloureuses voire impossibles, puisque cinq pièces ne peuvent qu’imparfaitement s’unir.  Cependant la pièce nous donne surtout à voir la mécanique implacable d’une trame gestuelle inlassablement explorée selon les nombreux registres de la perception.

Sur la scène, un plateau nu seulement encadré d’un rideau ourlé de plis crémeux. Dans le silence prennent place face à nous deux frêles silhouettes vêtues de noir, le visage maquillé d’une unique tache sombre sous chaque œil. Pierrots mutiques et absorbés par l’exécution sans relâche d’une partition de courtes phrases fréquemment renouvelées dont le vocabulaire semble puiser dans la gestuelle néoclassique. De glissades en petits pas, de dégagés en arabesques la technicité apparente de leur danse et la lisibilité aisée de leurs corps laisse cependant poindre une figure singulière : les piétinements sur demi pointes semblent moins destinés à s’élever du sol qu’à s’y ancrer encore plus fermement, tandis que leurs genoux se plient pour donner la cadence d’une démarche mesurée, élégante mais contenue par leurs bustes cambrés.

Le duo évolue au cœur d’une scénographie sobre et implacable : les sons caverneux d’instruments à vent méconnaissables tant ils sont distordus appuient certains gestes ou résonnent dans l’immobilité des danseurs. Ces derniers semblent disparaître puis rejaillir du plateau nu balayé d’un faisceau de lumière vive qui colore méthodiquement les lais du tapis d’un rayon fuchsia ou vert acide. La monotonie lancinante d’un mouvement presque continu est pourtant rompue par le jeu de leur présence dans l’espace et la modulation de la distance qui les sépare. Les lignes et les courbes de leurs déplacements donnent à voir sans cesse autrement chaque geste qu’ils accomplissent, de manière à composer pour notre regard la trame labile de l’architecture d’un duo.

À mesure que la gamme des gestes proposés se diversifie, qu’elle devient aussi plus aérienne et complexe et qu’à leur partition s’adjoignent de grands sauts la danse se colore d’une douce fantaisie : par instants un léger frémissement des bras étendus semble évoquer le fragile tremblement d’un oiseau qui s’ébroue avant de plonger de nouveau dans la danse. La musique alors laisse échapper les bribes d’une harmonie vite étouffée dans un assourdissant grincement.

Les danseurs semblent se tenir à la lisière du mime quelquefois, jusqu’à ce que se superpose pour nous à l’harmonie mécanique du geste l’imaginaire de marionnettes qui furètent sur la scène et se faufilent dans la pénombre. Non loin d’eux s’immisce alors un inquiétant totem écarlate, hérissé de franges dorées ; immobile tout d’abord il entame progressivement sa lente déliquescence solitaire tandis que les danseurs s’unissent dans un duo presque lascif mais toujours rigoureux. Le totem semble s’engouffrer dans la brèche ouverte par le potentiel subversif de l’équilibre perdu et déambule autour d’eux de sa démarche empesée et pataude. On les croirait tous trois échappés d’un ballet triadique de Schlemmer, et la pièce conserve dans sa forme quelque chose d’un peu désuet mais cependant fort plaisant et rondement mené.

APERÇU – 5 Room puzzle se déroule comme une lente litanie, et la pièce se déploie dans le ressassement continu d’une même trame gestuelle. Les interprètes donnent vigueur à un univers gestuel trop souvent déprécié et la proposition scénique qui en résulte n’en est que plus intéressante.

Vu au Centre Pompidou (Théâtre de la Ville hors les murs). Chorégraphie et direction Tânia Carvalho. Danseurs  Luis Guerra, Tânia Carvalho et Marta Cerqueira. Photo © Rui Palma.