Publié le 22 juillet 2017
Pour certains, l’été rime avec pause bien méritée ; pour d’autres, il se poursuit au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi d’accompagner ce temps suspendu en proposant, tout au long de l’été, une série de portraits d’artistes. Qu’ils soient figures confirmées ou talents émergents du spectacle vivant, toutes et tous ont accepté de partager un moment d’échange à travers une série de questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Yuval Pick.
Quel est ton premier souvenir de danse ?
Vers l’âge de 5 ans, lors des mariages, j’attendais toujours avec impatience la fin du repas pour pouvoir danser ! Un peu plus tard, j’ai découvert Saturday Night Fever (1978) et John Travolta est devenu mon héros. Ma chambre s’est transformée en studio où je répétais sans relâche tous ses « moves ».
Quels spectacles t’ont le plus marqué en tant que spectateur ?
Le Sacre du Printemps (1975) de Pina Bausch : l’engagement total des danseurs m’a bouleversé, tout comme la manière dont le geste rencontre la musique. Einstein on the Beach (1976) de Bob Wilson, Lucinda Childs et Philip Glass : un chef-d’œuvre qui dépasse les frontières entre opéra, danse, théâtre. Turba (2007) de Maguy Marin : une densité scénique inédite, entre accumulation de matières et orchestration du chaos. Le solo B12 (1988) dansé par Tero Saarinen m’a littéralement changé mon rapport au temps. Astral Converted (1991) de Trisha Brown, D’ivoire et chair (2014) de Marlene Monteiro Freitas, As it empties out (2014) de Jefta van Dinther… autant de pièces qui m’ont ouvert à de nouvelles façons d’habiter le mouvement, le son, la lumière, la présence.
Quels sont tes souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?
Kyr (1990) d’Ohad Naharin, ma première grande pièce de groupe avec Batsheva : une danse du collectif, une recherche de liberté sur scène. The Vile Parody of Address (1988) de William Forsythe m’a permis d’explorer la finesse de l’interprétation dans ses moindres détails. Solo for Two (1996) de Mats Ek m’a offert une rencontre puissante avec cette danse nordique, plus théâtrale. Et Critical Mass (1998) de Russell Maliphant m’a initié à la danse-contact et à une toute nouvelle manière d’aborder la gravité et le sol.
Quelles rencontres artistiques ont marqué ton parcours ?
Ohad Naharin d’abord, avec qui je partage une sensibilité autour du mouvement comme mémoire collective. Tero Saarinen, ensuite : une bête de scène, une façon unique d’aborder l’espace et l’humain. Bertrand Larrieu, compositeur avec qui j’ai développé une approche du son très libre, très narrative. L’éclairagiste Nicolas Boudier, avec qui je construis un dialogue entre la lumière et la danse, dans des espaces dénudés, mais profondément habités. Et bien sûr, les danseurs et danseuses de ma troupe : chacun·e d’eux a cette capacité rare à faire surgir la vie à travers le mouvement. Ils sont au cœur de mon travail.
Quels sont, selon toi, les enjeux de la danse aujourd’hui ?
La danse peut réveiller le désir d’un espace commun à réinventer, en plaçant le corps et le collectif au centre. Il faut aussi sortir la danse de ses lieux habituels, aller vers les publics, explorer des espaces atypiques, urbains ou ruraux. Amener la danse dans les périphéries, dans les campagnes, là où elle est absente. Elle doit circuler plus librement, au-delà des centres institutionnels.
Quel rôle l’artiste doit-il avoir dans la société aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il est essentiel de réapprendre à ressentir. L’artiste est là pour ça : pour ouvrir des perspectives, élargir le champ du sensible. Créer, c’est un acte de résistance. Face à une société qui standardise, il faut continuer à rêver, à inventer, à imaginer. L’artiste peut nous montrer d’autres possibles, réveiller notre capacité à nous relier au monde par l’émotion, le corps, le regard.
Photo Laurent Philippe
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