Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 21 septembre 2015
Avec Un Album, Laetitia Dosch clôt une trilogie consacrée à la figure de l’entertainer. Inspirée par Zouc, nourrie d’observations du quotidien et peuplée de personnages, cette partition vocale et chorégraphique explore les zones de flou entre jeu, imitation et incarnation.
Laetitia fait péter… et Jeff Koons à Versailles sont les deux premiers volets d’une trilogie consacrée à la figure de l’entertainer. Comment ce triptyque s’est-il dessiné ?
Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de rendre mes spectacles le plus possible « présents ». Et quoi de plus présent que quelqu’un qui joue devant toi, en direct ? À partir de cette situation de jeu, on peut faire surgir toutes sortes d’accidents : un interprète qui change d’avis, une scène interrompue par des événements imprévus, etc. Ces perturbations mettent le spectateur dans une position active : il ne sait plus ce qui est prévu ou non, ce qui est simulé ou réel, ce qui est drôle ou grave. Ça me passionne. Et le cadre du comique est parfait pour jouer avec ces attentes. Quand tu vas voir un spectacle drôle, tu veux rire. Or, faire rire n’est pas toujours possible. Un entertainer n’est pas une machine. Il a ses ratés, ses empêchements, ses doutes. Ce triptyque, c’est une tentative de faire exister ces zones de trouble.
Avec Un Album, tu rends hommage à Zouc. Qu’est-ce qui t’a attirée vers elle en particulier ?
J’ai découvert Zouc sur le tard, sans y être attachée émotionnellement. Ce qui m’a fascinée, c’est sa structure dramaturgique, sa manière d’enchaîner des figures sans lien apparent. Une suite d’imitations d’inconnus, issus de toutes les strates sociales. Avec son corps, elle rend l’humanité plus vaste, plus floue, plus perméable. Et puis ce refus d’exister en tant que soi sur scène, cette volonté de s’effacer derrière les voix qu’elle fait surgir… J’ai voulu reprendre ce principe, mais en le confrontant à notre époque.
Tu t’appuies souvent sur une phase documentaire pour écrire tes spectacles. Quelle a été la méthode pour Un Album ?
J’ai commencé par revisiter mes souvenirs, puis je suis allée dans des lieux où je ne vais jamais : hôpitaux, Pôle emploi, bars de province. Ça a déclenché des rencontres inattendues. Ce que je voulais saisir, c’est comment une expérience s’imprime dans le corps, dans la voix, dans la posture. Ce n’est pas un spectacle théorique, c’est un album de sensations humaines.
Tu cultives une présence scénique sans filet. Quel rapport entretiens-tu avec le public ?
J’essaye de respirer avec lui. Même si je suis seule sur scène, il est toujours là, partenaire invisible. Un Album est moins frontal que Laetitia fait péter…, mais il met aussi dans un certain inconfort. Les personnages font rire, puis inquiètent. Le rire n’est pas toujours joyeux. Parfois, il naît d’un décalage, d’une peur, d’un dégoût. Ce sont ces rires-là qui m’intéressent. Ils créent un lien entre le spectateur et ce qui se passe sur scène, même s’il ne sait pas tout de suite pourquoi il rit. C’est dans ces oscillations que je trouve de la vérité.
Vu au Théâtre de Vanves. Photo Dorothée Thébert Filliger.
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