Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 3 février 2015
Avec SPEAK!, la metteuse en scène Sanja Mitrović interroge avec acuité notre rapport au pouvoir de la parole politique. À travers une performance participative où les spectateurs votent en temps réel, elle expose la force de la rhétorique, la manipulation des affects et la fragilité de nos choix démocratiques. Entre discours historiques, chorégraphie des gestes et immersion collective, SPEAK! met en lumière ce qui nous séduit, ce qui nous influence, et ce qui finit parfois par nous gouverner.
Peux-tu retracer la genèse de SPEAK! ?
J’ai commencé à réfléchir au projet après le discours d’investiture de Barack Obama en 2009. Ce fut un moment fascinant, porteur d’un nouvel espoir, d’une possibilité de changement. Mais très vite, je me suis demandé : « Pourquoi ce discours-là et pas un autre ? » Après l’euphorie initiale, la réalité a révélé les limites de ce charisme et l’impossibilité d’atteindre l’idéal promis. Ce cycle d’espoir et de désillusion m’a fascinée, car il semble être une pierre angulaire du processus politique. Cela m’a poussée à explorer la rhétorique : quels mondes ces discours dessinent-ils, et sur quels critères choisissons-nous ceux qui nous représentent ?
Comment as-tu sélectionné les discours qui composent le spectacle ?
Je me suis concentrée sur des discours visionnaires ou idéalistes, liés à des moments historiques forts, comme ceux de Martin Luther King ou de Vaclav Havel. Mais j’ai aussi intégré des discours militaires, comme ceux de Saddam Hussein ou de Winston Churchill, où la mobilisation collective prime. Explorer l’entrelacement entre l’utopie et la nécessité guerrière me semblait essentiel : parfois, ces deux dimensions coexistent dans un même texte.
Tu as même chorégraphié la gestuelle des mains dans certaines séquences. Peux-tu nous en parler ?
Oui, j’ai visionné énormément d’archives pour analyser la gestuelle politique. Aujourd’hui, l’image est aussi décisive que le contenu du discours. Il existe un véritable vocabulaire corporel, postures, gestes, intonations, qui participe de la performance politique. Nous avons travaillé avec une agence de formation pour politiciens à La Haye, apprenant comment le langage corporel peut amplifier un message : position du corps, synchronisation du geste avec l’argument clé, gestion du regard.
L’idée de faire voter les spectateurs était-elle présente dès le début ?
Oui, dès l’origine. Je voulais mettre en scène le rapport entre parole politique et engagement citoyen. De nombreuses études montrent la montée de l’apathie politique, notamment chez les jeunes électeurs. Dans SPEAK!, le vote n’est pas symbolique : il a un impact réel sur la représentation. Chaque soir, les choix du public modifient le déroulement du spectacle, posant concrètement la question de notre responsabilité collective face aux discours qui nous gouvernent.
Vu au Théâtre de la Bastille. Photo Bea Borgers.
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