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Rule of Three, Jan Martens

Par Wilson Le Personnic

Publié le 15 novembre 2017

Son nom est désormais associé à la nouvelle vague de la danse contemporaine belge : le raz-de-marée Jan Martens, annoncé en 2014 avec The Dog Days Are Over, a bel et bien eu lieu, avec plus de cent représentations à travers l’Europe et le Canada. Avec sa dernière création, Rule of Three, il confirme sa place sur la scène internationale. Désormais tête d’affiche des plus grands festivals, il présente pour la première fois en France cette pièce au Festival d’Automne à Paris. À ses côtés, deux compagnons de longue date, Steven Michel et Julien Josse, rejoints par la magnétique Courtney May Robertson, dont la petite stature contraste avec ses partenaires. Derrière une batterie, le musicien NAH pulse la bande-son live du spectacle.

Si dans ses précédents spectacles Jan Martens explorait une seule idée jusqu’à l’épuisement, Rule of Three déjoue toute attente par sa forme éclatée. La performance, construite comme un enchaînement de « hits », est annoncée dès l’entrée en salle par une tracklist projetée : Suddenly afraid, Chin, Gum Dance, Sandwalker… Autant de titres énigmatiques qui n’apportent aucune clé de lecture immédiate. La pièce avance par fragments, brouillant les repères, dans une succession de séquences contrastées, tour à tour électriques, burlesques ou méditatives.

La musique nerveuse, saturée et assourdissante de NAH dialogue avec l’écriture acérée de Martens. À chaque instant, l’œuvre joue des contrastes : danse frénétique versus immobilité tendue, lumières stroboscopiques versus pénombres denses, solos suspendus versus trios explosifs. Cette construction hétérogène, proche d’un zapping visuel et sonore, donne à voir un monde éclaté, traversé par l’angoisse contemporaine de l’hyperconnexion. Entre deux rafales de sons et de gestes, des extraits de textes de l’auteure américaine Lydia Davis offrent de brèves échappées poétiques.

La dernière partie du spectacle propose un basculement radical : dans un silence presque spectral, les trois interprètes se dénudent intégralement sous une lumière blafarde. Leurs corps s’assemblent, se segmentent et s’imbriquent dans une série de tableaux organiques fascinants. Loin de toute provocation gratuite, cette séquence, empreinte de lenteur et d’étrangeté, offre un moment suspendu, une respiration où l’énergie brute cède à une écriture charnelle et minutieuse.

À la fois déstabilisant, brutal et d’une grande précision formelle, Rule of Three confirme l’audace de Jan Martens à casser les codes de la représentation chorégraphique. En fusionnant danse, musique live, lumière et texte, il signe une œuvre fragmentée mais puissante, miroir éclaté d’un monde saturé d’images et d’informations. Avec ce trio explosif, Jan Martens Explorant les pulsations du monde contemporain, Jan Martens affirme un geste chorégraphique libre et résolument indiscipliné.

Vu au Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’Automne.