Par Wilson Le Personnic
Publié le 23 février 2016
Trois ans après le succès mondial de son précédent spectacle D’après une histoire vraie (2013), où huit hommes se déchaînaient au rythme de deux batteries dans une danse aux allures folkloriques, Christian Rizzo propose avec Ad Noctum un nouveau chapitre de sa réflexion sur « l’histoire des danses populaires et anonymes ». Ce duo explore cette fois les pratiques de la danse de couple, réunissant Kerem Gelebek et Julie Guibert, deux interprètes emblématiques à qui Rizzo avait déjà consacré les magnifiques soli Sakınan Göze Çöp Batar (2012) et b.c, janvier 1545, fontainebleau (2007). Avec eux, le chorégraphe déplace la question du groupe vers l’intime, de la tribu vers le lien premier, tissé d’écarts et de reconnexions, dans une quête d’une mémoire sensorielle partagée.
Dans la nuit dense du plateau, un rai de lumière vertical fend l’obscurité et révèle deux silhouettes dos à dos. Ce filet lumineux laisse bientôt deviner la présence d’une troisième entité : un monolithe suspendu, totem énigmatique et caisse de résonance visuelle et sonore. Délimité par un sol noir et blanc aux motifs optiques sinueux, ce périmètre rectangulaire devient peu à peu le terrain d’une cartographie sensible, où Kerem Gelebek et Julie Guibert activent une collection de gestes, de figures, de portés, échos déformés de notre mémoire collective autant que créations de leur imaginaire corporel. Entrecoupé d’éclipses lumineuses, Ad Noctum compose un lent stroboscope d’images suspendues. Les fragments de danse apparaissent et disparaissent, tels les éclats d’un rêve impossible à recomposer entièrement. Christian Rizzo convoque des figures évanescentes, des surgissements furtifs, qui impriment sur la rétine une mémoire fugitive. La musique tellurique de Pénélope Michel et Nicolas Devos, et les lumières sculpturales de Caty Olive, façonnent cet espace mouvant, où les codes de la danse de couple sont passés au tamis pour en extraire l’empreinte incertaine d’un contact possible, toujours menacé d’effacement.
Entre jour et nuit, visible et invisible, Ad Noctum invente un espace où la danse s’infiltre entre surgissement et effacement, comme un souffle à peine perceptible. Dans cet espace onirique, Kerem Gelebek et Julie Guibert esquissent une danse fragile, volatile, tendue entre abandon et reprise, comme des ombres glissant sur un fil suspendu. Jusqu’à cette dernière séquence, où leurs corps, littéralement consumés par le mouvement, disparaissent dans une ultime transe presque fantasmagorique. À travers cette cérémonie minimale et vibrante, Christian Rizzo orchestre une fascinante machine à apparitions, où la poésie des corps aimante la nuit, et où le temps semble suspendu dans un perpétuel recommencement.
Vu au Centre Pompidou à Paris. Photo Marc Coudrais.
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