Photo Itw Matthieu Barbin © Dorothée Smith

Portraits d’été : Matthieu Barbin

Publié le 3 août 2017

Pour certains, l’été rime avec pause bien méritée ; pour d’autres, il se poursuit au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi d’accompagner ce temps suspendu en proposant, tout au long de l’été, une série de portraits d’artistes. Qu’ils soient figures confirmées ou talents émergents du spectacle vivant, toutes et tous ont accepté de partager un moment d’échange à travers une série de questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Matthieu Barbin.

Quel est ton premier souvenir de danse ?

Un souvenir d’enfance, plutôt précis. Il s’agit du spectacle de fin d’année d’une maison de quartier que je fréquentais, vers neuf ans. Il avait lieu dans un immense stade de basket couvert. L’espace en ovale, la résonance des cris, le bruit des chaussures sur le parquet ciré… C’était une immersion brutale dans un dispositif de représentation. J’en garde un souvenir très animal, un peu traumatique mais aussi poétique. Une sensation de déboussolement total, comme un premier vertige scénique.

Quels spectacles t’ont le plus marqué en tant que spectateur ?

Je ne garde pas de marque indélébile, plutôt des traces éparses. Si je devais cartographier ces impressions, Uchuu Cabaret(2008) de Carlotta Ikeda y tiendrait une place importante. Le Butô, par la puissance dilatée de ses corps et visages, me donne le sentiment d’accéder à une vérité que peu d’autres formes permettent. Il y aurait aussi Shéda (2013) de Dieudonné Niangouna à Avignon, ou The Artificial Nature Project (2012) de Mette Ingvartsen. Mais ce sont souvent d’autres médiums que la scène qui produisent chez moi les plus franches bascules. Le spectacle vivant laisse parfois des empreintes plus diffuses.

Quels sont tes souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?

Je vis plutôt les moments performatifs comme une suite de grandes amnésies. La notion même d’« intensité » me semble aujourd’hui un peu galvaudée. Cela dit, quelques expériences récentes me reviennent. Manger de Boris Charmatz à la Tate Modern en 2015 : la Turbine Hall, une audience électrisée qui sortait d’un dance floor de deux heures, et nous, corps un peu flottants dans ce lendemain de chaos. Et puis Le Sacre du Printemps Arabe de Marlène Saldana et Jonathan Drillet. Travailler avec des ami·es, ça change tout. Et je n’oublierai jamais la joie d’utiliser sur scène ce merveilleux outil qu’est le maquillage.

Quelles rencontres artistiques ont été importantes dans ton parcours ?

C’est toujours délicat de hiérarchiser les rencontres, mais le nom de Boris Charmatz s’impose. Son travail, par sa complexité, ses prises de risque, m’a profondément marqué. Avec lui, j’ai appris à utiliser le corps comme un outil, à l’amener à une forme d’organicité par la contrainte, un paradoxe fascinant. J’ai mangé du papier, chanté, dansé avec un hélicoptère, sous la pluie, porté des enfants, et touché le sol en béton du MoMA. Ça fait beaucoup, et ça m’a énormément appris.

Quels sont, selon toi, les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Peut-être… ne plus se regarder ? Explorer le corps dans d’autres médiums, d’autres espaces. La danse, comme la société, traverse une période de césure : entre tentations réactionnaires et désirs de déplacement. Elle doit se redéfinir, affirmer ses frottements, ses contradictions. Et, oui, si elle pouvait aussi continuer à produire un peu de poésie, ce ne serait pas du luxe.

Quel rôle l’artiste doit-il avoir dans la société aujourd’hui ?

Surtout pas un seul. Sinon, il devient le pantin de lui-même. Je crois à la nécessité du politique, pas forcément comme thème, mais comme posture : poser des questions, crier parfois, créer des espaces d’errance où les gens peuvent se perdre, ou pas. L’artiste peut divertir, amuser, bouleverser, raconter. Ces fonctions ne s’opposent pas : elles se complètent. C’est précisément cette multiplicité qui rend sa place précieuse.

Photo © Smith