Photo La Maladresse © Véronique Baudoux 1

Mylène Benoît, La Maladresse

Par Wilson Le Personnic

Publié le 13 février 2018

Présenté au Tétris lors du festival Pharenheit au Havre, La Maladresse de Mylène Benoît est un trio pour une danseuse et deux musiciens. Dans la continuité de ses précédentes pièces Notre Danse et L’Aveuglement, qui exploraient déjà les liens entre danse et voix, la chorégraphe poursuit son travail d’entrelacement de ces deux pratiques, dans une épure formelle qui met en lumière une écriture subtile traversée par une certaine quiétude. Cette douce impression de sérénité qui émane de la pièce semble pourtant contraster légèrement avec le sujet qui a initialement motivé sa recherche : les mouvements involontaires, notamment les tics et les dyskinésies.

Riche de ce premier temps de recherche autour des mouvements incontrôlés, Mylène Benoît est partie en résidence au Japon, à la Villa Kujoyama à Kyoto, pour confronter sa démarche au langage gestuel des arts traditionnels japonais, où « tous les gestes sont codifiés, chorégraphiés et contrôlés en permanence », souligne-t-elle. La mise en relation paradoxale de ces deux rapports au mouvement superpose des corporéités en apparence antithétiques, qui finissent par s’effacer l’une dans l’autre au profit d’une troisième langue, développée ici par Célia Gondol. « Célia m’a toujours fascinée en tant qu’interprète – elle a un rapport très singulier au corps, elle est sujette à des tics qui construisent un langage auquel on est habitué lorsqu’on la fréquente beaucoup (…) et qui disparaissent lorsqu’elle est sur un plateau. »

Au centre d’un dispositif tri-frontal, la danseuse élabore, au plus près des spectateurs, parfois les yeux dans les yeux, une partition vocale et chorégraphique délicate, soutenue par la présence des deux musiciens Nicolas Devos et Pénélope Michel (Cercueil/Puce Moment), assis au sol face à leurs instruments. Cette proximité entre public et interprètes fait écho à des expériences vécues par la chorégraphe lors de son voyage : « J’ai été bouleversée par cette proxémie dans le contexte théâtral, notamment au théâtre de butô de Kyoto, où une danseuse présentait des pièces pour huit spectateurs assis sur des tatamis, ou pendant la cérémonie du thé… Il s’agissait ici, avec cette proximité, d’essayer de retrouver cette délicatesse rencontrée au Japon. »

Enveloppée d’un chant hérité de la tradition japonaise, le Gagaku, la gestuelle flegmatique de la danseuse puise dans un inventaire de postures et d’énergies empruntées au Nô et au Nichibu, pratiques ancestrales auxquelles elle s’est initiée au contact d’artistes japonais, notamment le danseur Atsushi Heki, que l’on retrouvera dans Gikochina-sa / ぎこちなさ (« maladresse » en japonais), second opus qui prolonge cette recherche, dont la création est prévue en juin aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis. Chargée d’une intention cérémonielle, la performance s’achève par le déploiement d’un paysage sonore qui vient saturer l’espace de ses vibrations, à la manière d’un typhon nettoyant le vide laissé par le passage de la danseuse.

Vu au festival Pharenheit au Havre.
Photo © Véronique Baudoux.