Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Publié le 20 octobre 2014
Avec Le Groupe, Fanny de Chaillé s’inspire de La Lettre de Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal pour questionner notre rapport au langage et à la représentation. En collaboration avec la scénographe Nadia Lauro et quatre interprètes, elle propose une mise en forme collective d’un texte initialement intime, écrit à la première personne.
Le Groupe s’inspire de La Lettre de Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal. Qu’est-ce qui t’a poussée vers ce texte ?
J’ai découvert ce texte il y a plus de vingt ans, mais avec le temps, je l’avais totalement oublié. Il y a deux ans, en travaillant sur un projet pour le Centre Pompidou, La Clairière, je suis retombée dessus par hasard. Je l’ai fait lire à un acteur et cela m’a sauté aux yeux : il fallait que j’en fasse quelque chose. La Lettre de Lord Chandos est, à mes yeux, l’un des plus beaux textes qui existent sur le langage, ou plutôt sur le lien que l’homme entretient avec la langue.
Comment as-tu adapté cette parole intime et solitaire de La Lettre de Lord Chandos en une expérience collective sur scène ?
Comme dans mes projets précédents, je n’aborde pas le texte comme un matériau à illustrer, mais comme un point de départ pour fabriquer une forme scénique. Avec Le Groupe, le défi était particulièrement fort : il s’agissait de construire une œuvre collective à partir d’une parole profondément intime, une lettre écrite à la première personne, destinée à être lue, pas à être jouée. Dans La Lettre de Lord Chandos, il est question avant tout d’un renoncement : Chandos abandonne l’écriture, mais dans ce geste même, il compose un texte absolument « incroyable » sur le langage, aussi puissant par sa forme que par son fond. Notre travail a été de rendre cette parole audible, de lui redonner corps et souffle sur scène, pour réinventer à la fois notre rapport à la langue et à l’acte même de faire théâtre.
Comment est née l’idée de cette enveloppe géante sur scène ?
Comme toujours avec Nadia Lauro, nous avons d’abord échangé longuement sur l’espace, ses enjeux, ses échos au projet. Ensuite, elle assiste aux répétitions, fabrique une maquette qu’elle me propose, et l’espace arrive progressivement, assez tard dans le processus. Pour ce spectacle, nous avons décidé très tôt de reprendre le principe d’une boîte en carton, comme dans Je suis un metteur en scène japonais. L’idée est de développer une série de boîtes, chacune adaptée à la nature du projet. Pour Le Groupe, la boîte devient une enveloppe : l’enveloppe de la lettre de Chandos, une membrane fragile qui contient toute la tension du texte.
Tu es chorégraphe, pourtant ton travail est régulièrement présenté comme du théâtre. Comment te situes-tu par rapport à ces catégories ?
C’est curieusement une question que je ne me pose pas vraiment. J’invente des formes en travaillant avec des artistes qui sont danseurs, acteurs, musiciens, sans distinction rigide. Je viens du champ chorégraphique, et je conserve certaines manières de faire issues de cette tradition : l’attention portée au corps, au rythme, à l’espace. Mais depuis quelque temps, je m’appuie davantage sur des textes pour construire mes spectacles, d’où sans doute cette étiquette théâtrale. Cela dit, j’ai aussi imaginé des formes pour des lieux non théâtraux : bibliothèques, espaces publics, galeries… Le lieu de diffusion influence toujours beaucoup la manière dont la forme se développe.
Le Groupe. Conception Fanny de Chaillé. D’après la Lettre de Lord Chandos de Hugo von Hofmannsthal. Conception scénographique et costumes Nadia Lauro. Concepteur son Manuel Coursin. Lumières Willy Cessa. Avec Guillaume Bailliart, Christine Bombal, Christophe Ives, Grégoire Monsaingeon. Photo DR.
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