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Portraits d’été : La Ribot

Publié le 16 juillet 2017

Pour certains, l’été rime avec pause bien méritée ; pour d’autres, il se poursuit au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi d’accompagner ce temps suspendu en proposant, tout au long de l’été, une série de portraits d’artistes. Qu’ils soient figures confirmées ou talents émergents du spectacle vivant, toutes et tous ont accepté de partager un moment d’échange à travers une série de questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec La Ribot.

Quel est ton premier souvenir de danse ?


Je crois que mes premiers souvenirs de danse viennent du cinéma muet : des scènes burlesques avec Buster Keaton, Charlie Chaplin ou Laurel & Hardy. Il y avait là quelque chose de très physique, très expressif. Je me souviens aussi avoir vu des ballets, des pas de deux… Ce genre de choses.

Quels spectacles t’ont le plus marquée en tant que spectatrice ?

Lors d’un concours chorégraphique à Cologne, en 1984, une compagnie anglaise a présenté une pièce dont je ne me souviens plus du nom, mais que je n’ai jamais oubliée. Pendant vingt minutes, dans un silence complet, trois danseurs s’appliquaient à cueillir des fleurs dans un champ imaginaire. Le public sifflait, riait, quelques applaudissements timides surgissaient çà et là.
J’ai trouvé la proposition magnifique, à la fois poétique et radicale. Elle bouleversait toutes les conventions de l’écriture chorégraphique, le rapport à la musique, l’image. Une sorte de John Cage croisé avec Vivienne Westwood. Le théâtre restait allumé, la tension montait… Ce fut le seul moment vraiment marquant d’un concours autrement très formaté.

Quel est ton souvenir le plus intense en tant qu’interprète ?

Mes souvenirs les plus vifs sont souvent liés à des états extrêmes : jouer avec de la fièvre, des nausées, ou avec un doigt de pied cassé. Ce sont des moments de tension où le corps souffre mais où l’engagement doit rester entier. Il faut être là, à 100 %, même si les capacités sont diminuées.
Cela dit, je crois me souvenir de chaque représentation que j’ai donnée : les lieux, les lumières, l’énergie… Je n’ai annulé qu’une seule fois dans ma vie, pour raison de santé.

Quelle rencontre artistique a été décisive dans ton parcours ?

Avec Blanca Calvo, nous avons fondé très jeunes la compagnie Bocanada Danza (1986–1989), puis plus tard le festival Desviaciones à Madrid (1997–2001), où nous avons présenté les meilleures « déviations » de la danse contemporaine. Il y a aussi ma longue collaboration, artistique et sentimentale, avec Gilles Jobin, qui a duré vingt ans. Et bien sûr, Mathilde Monnier : danser avec elle, c’est toucher le ciel.

Quelles œuvres composent ton panthéon personnel de la danse ?

May B (1981) de Maguy Marin est une pièce fondatrice. Je l’ai vue seule un après-midi sur une place à Paris, et je suis restée clouée sur place, littéralement. Je pense aussi au Sacre du printemps (1975) de Pina Bausch, à la Danse serpentine (1892) de Loie Fuller, au livre Ma Vied’Isadora Duncan… Des figures essentielles.

Quels sont, selon toi, les enjeux du spectacle vivant aujourd’hui ?

Les artistes, mais aussi les programmateurs, les institutions, les politiques culturels, ont une responsabilité : porter une forme de contemporanéité. L’art ne peut pas vivre replié sur ses traditions. Il doit s’inscrire dans un contexte, dialoguer avec les enjeux actuels — politiques, sociaux, esthétiques, philosophiques. Il doit continuer à résonner dans le monde d’aujourd’hui.

Quel rôle un·e artiste doit-il ou elle jouer dans la société ?

Je vois les artistes comme des contributeurs. Ils ou elles apportent des idées, des propositions qui ont le pouvoir de transformer, ne serait-ce qu’un point de vue, une manière de penser, un regard, un geste, un parcours de vie. C’est déjà immense.

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