Photo bobdylan

Lisbeth Gruwez danse avec Bob Dylan

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 3 juin 2015

Depuis plus de dix ans, Lisbeth Gruwez et Maarten Van Cauwenberghe tissent un dialogue silencieux entre corps et son. Avec Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan, la chorégraphe belge s’abandonne à l’univers imprévisible du poète folk américain, dans une performance hypnotique et dépouillée. Entre vinyles grésillants, gestes suspendus et confiance absolue, elle revient sur la genèse de ce projet, fruit d’une amitié artistique rare, et sur son rapport intime au mouvement, à la musique… et à Dylan.

Vous collaborez depuis de nombreuses années. Comment travaillez-vous en studio ?

On se parle peu,. C’est en faisant que les choses prennent sens. Il y a entre nous une confiance presque silencieuse, un langage fait de regards, d’intuitions partagées. Maarten compose pour moi, et je danse avec en tête l’idée que c’est pour lui. Il y a un jeu de miroir constant, une sorte de danse invisible entre nous deux. Ce dialogue non verbal mais profondément ancré est la base de notre processus de création.

Quelle influence avez-vous l’un sur l’autre dans ce processus ?

On est des extensions l’un de l’autre. Parfois, Maarten se lève et danse une idée que j’ai eue : ça change tout. Il m’aide à comprendre le rythme dans sa chair, pas seulement par le son. Et moi, quand je l’intègre, je peux en jouer, m’en affranchir, même le contredire. Il y a dans notre travail une tension féconde entre fusion et altérité. Je crois que notre lien est une forme d’amour, pas sentimental, mais un amour du risque, de la création, de l’altérité. C’est cette relation qui me pousse à aller plus loin, à oser des territoires que je n’aurais pas explorés seule.

Peux-tu revenir sur la genèse de Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan ?

L’idée est apparue pendant la longue tournée de It’s going to get worse and worse and worse, my friend. On vivait intensément, chaque soir un nouveau lieu, un nouveau public. Et Maarten écoutait Dylan en boucle lors des échauffements. Au début, je n’étais pas très sensible à cette musique, je ne la comprenais pas encore. Puis, peu à peu, je me suis laissée prendre. J’ai commencé à danser dessus sans y penser, instinctivement. Ce spectacle est presque un hommage à cette contamination douce, à ce glissement de terrain où Dylan est devenu un terrain de jeu, puis un partenaire invisible.

Comment avez-vous initié le travail en studio ?

La musique et la danse naissent toujours ensemble. Je ne dissocie pas l’un de l’autre. Je propose des mouvements, Maarten écoute et me renvoie ses impressions, il me dit si ça fonctionne, ou pas. Il y a chez lui une forme d’exigence tranquille. Et Bob Dylan, c’est exactement ça : une tension entre intuition brute et construction hyper précise. Son phrasé est à la fois libre et ultra structuré, imprévisible, mouvant. Chaque chanson est une tentative d’habiter l’instant, et ça me touche profondément. Mes mouvements ne sont jamais figés, comme si, moi aussi, je cherchais à réinterpréter le moment à chaque fois. Danser Dylan, c’est dialoguer avec une matière vivante.

Pourquoi avoir choisi de travailler avec des vinyles ?

Le vinyle, c’est plus qu’un support, c’est un geste. Le son crépite, le disque tourne, on entend même parfois la poussière : c’est de la musique qui respire. Maarten a une énorme collection, et au début de chaque projet, on fouille dedans. C’est devenu notre rituel : on s’assoit, on boit une bière, on écoute, on se laisse traverser. Aujourd’hui, la musique est partout, tout le temps, souvent jetable. Le vinyle impose une pause, une attention. Il a quelque chose de sensuel, presque cérémonial. Ce n’est pas seulement écouter, c’est être ensemble dans l’écoute. Et c’est cette qualité de présence que je voulais faire passer sur scène.

Vu au Théâtre de la Bastille. Photo Klaartje Lambrechts.