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Portraits d’été : Nadia Beugré

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 25 août 2017

Pour certains, l’été est synonyme de repos, pour d’autres, il bat au rythme des festivals. Quoi qu’il en soit, cette période constitue souvent un moment privilégié pour prendre du recul, faire le point sur la saison écoulée et préparer celle qui s’annonce. Nous avons choisi de mettre à profit cette respiration estivale pour aller à la rencontre des artistes qui font vibrer le spectacle vivant. Artistes confirmés ou talents émergents, ils et elles ont accepté de se raconter à travers une série de portraits en questions-réponses. Cette semaine, rencontre avec Nadia Beugré.

Quel est ton premier souvenir de danse ?

Mes tout premiers souvenirs de danse me sont flous, car j’étais toute petite. Là où je suis née, dans le quartier d’Abobo à Abidjan, en Côte d’Ivoire, la danse est un art vivant, social et profondément ancré dans le quotidien, auquel on est initié dès qu’on sait à peine marcher. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on y voit peu de centres de formation structurés, comme si la transmission informelle suffisait. Mais aujourd’hui, je pense qu’il est crucial de créer des espaces d’apprentissage, pour approfondir la compréhension, penser la danse comme un champ de réflexion, et en explorer tous les enjeux.

Quels spectacles t’ont le plus marquée en tant que spectatrice ?

Il y en a beaucoup, mais je pense à une chorégraphe que je ne connaissais pas avant de découvrir sa pièce à Montpellier Danse en 2016. Lia Rodrigues, avec « Para que o céu nao caia » (Pour que le ciel ne tombe pas), a été une révélation.Sa danse, profondément politique, viscérale, m’a bouleversée. Elle travaille à partir de gestes simples, presque quotidiens, avec une précision incroyable. Il y a aussi une force rituelle dans son travail, quelque chose de très ancré, qui entre en résonance avec mes propres intuitions.

Y a-t-il des moments particulièrement forts que tu gardes en mémoire de ton parcours artistique ?

Ce sont ceux qui m’ont permis de douter, de me remettre en question, de déplacer mes limites. Je pense à Feue Béatrice Kombé, de la compagnie ivoirienne Tché Tché. Elle m’a littéralement construite. D’autres collaborations m’ont poussée à aller plus loin, par exemple dans mon rapport à la nudité sur scène. Chaque pièce que je présente est un défi, un saut dans le vide. Je ne peux pas concevoir mon travail autrement. C’est ce qui m’alimente.

Peux-tu partager quelques rencontres importantes dans ton parcours ?

Il y a deux artistes qui continuent de m’accompagner, même depuis leurs ailleurs. Par respect, je préfère taire leurs noms, mais leur présence est immense dans mon parcours. De manière générale, je considère chaque rencontre artistique comme précieuse. Mon chemin est tissé de ces échanges, et j’espère que d’autres viendront encore l’enrichir.

Quelles œuvres composent ton panthéon personnel ?

Toutes et aucune. Mon panthéon se nourrit d’abord d’observations, de ce que je vois du monde, des gens, des rituels, des désordres sociaux, des injustices. Je regarde les artistes, bien sûr, mais je capte aussi le mouvement là où on ne pense pas à le chercher. Dans la rue, dans la nature, dans les interactions humaines. Je collecte une matière brute, souvent invisible, et c’est elle qui nourrit ma danse.

Selon toi, quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Faire reconnaître la danse comme un art à part entière, avec sa richesse, ses mutations, et son importance sociale.Il faut aussi défendre le statut de l’artiste, et encourager la solidarité entre nous. Trop souvent, la danse est marginalisée parmi les arts vivants. Et trop souvent aussi, les rivalités internes ou les enjeux de pouvoir freinent notre élan collectif. Je rêve d’un monde de la danse plus uni, où l’on puisse construire ensemble sa reconnaissance.

Quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Je ne me pose pas souvent la question comme ça. L’artiste, comme toute personne, fait partie du tissu social. Il a, comme les autres, la responsabilité de participer, de faire face, d’agir. On dit parfois que je provoque, mais je ne cherche pas le scandale. J’essaie d’ouvrir les yeux, de pointer ce qui dérange, de dire ce qu’on ne veut pas entendre. Si cela peut faire réagir, réfléchir, alors tant mieux. Mais je ne pense pas que cela vaille plus que l’engagement de toute personne qui agit pour le collectif. On construit toutes et tous ensemble.

Photo Grit Weirauch