Photo Vincent Cavaroc

En chinoiseries, I-Fang Lin

Par Wilson Le Personnic

Publié le 29 novembre 2016

Interprète remarquée depuis une vingtaine d’années dans le paysage chorégraphique français, I-Fang Lin a collaboré avec de nombreux chorégraphes, parmi lesquels Christian Rizzo, François Verret et Anne Collod. Elle reste également l’une des interprètes phares de Mathilde Monnier, avec laquelle elle partage près d’une dizaine de collaborations depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, la danseuse d’origine taïwanaise signe sa première pièce, En chinoiseries, un duo complice avec le chanteur et musicien François Marry, leader du groupe Frànçois and The Atlas Mountains.

En chinoiseries peut se lire comme un tissage délicat de rencontres et de filiations : celle avec la France au début des années 1990, celle avec Mathilde Monnier, puis celle avec François Marry en 2012. C’est aussi la rencontre de l’Orient et de l’Occident, de la tradition et de la modernité, de la danse et de la musique. Le projet fait directement écho à Chinoiserie, duo créé en 1991 par Monnier et le musicien Louis Sclavis. Comme un clin d’œil, I-Fang Lin porte une robe qipao similaire à celle de Monnier autrefois, mais cette fois l’épure remplace la constellation d’ampoules, et la danse engage un dialogue plus mouvant avec la musique live.

Dialogue espiègle et bienveillant entre deux disciplines artistiques, En chinoiseries tisse sur un plateau presque nu les fils d’une rencontre sensible. À jardin, quelques instruments, câbles et pédales forment le territoire sonore de Marry, qui composera en direct pour accompagner I-Fang Lin. Tour à tour, ils dansent, chantent, jouent l’un pour l’autre, l’un avec l’autre. Le spectacle débute par un karaoké projeté, une émission populaire taïwanaise ou chinoise, où les deux artistes, dos au public, entament un dialogue avec les images de leur mémoire commune. Très vite, les chaussures tombent, et la scène devient un espace partagé, poreux, ouvert.

La silhouette fluide d’I-Fang Lin contraste avec la présence plus terrienne de François Marry : de cet écart de corporéités naît une suite de scènes intimes et mouvantes. Des motifs chorégraphiques de Monnier ressurgissent par instants, rotations suspendues, gestes coupés nets, tandis que Marry accompagne parfois Lin d’une prose chantée, douce et mélancolique. Un leitmotiv s’installe : le visage de Marry lové dans le creux de l’épaule de Lin, geste d’amitié et de mémoire. On entend résonner quelques vers tirés de Les Lueurs Matinales, son duo avec Étienne Daho : « Deux bons amis dans le temps, perdent leurs traces et s’oublient… »

En chinoiseries est un dialogue subtil et fécond entre deux amis, deux artistes, deux géographies, deux langues, deux corps, deux disciplines. Un pas de deux tendre et libre qui, sous ses allures modestes, pose un regard délicat sur l’altérité et la mémoire partagée.

Vu au Centre Pompidou. Photo © Vincent Cavaroc.