Photo copyright charly gosp

Uccello, Uccellacci & The Birds, Jean-Luc Verna

Par Wilson Le Personnic

Publié le 21 mars 2017

Figure singulière dans le paysage artistique, Jean-Luc Verna développe depuis plus de trente ans une œuvre protéiforme et transdisciplinaire. Crâne rasé, corps tatoué et percé, dentition d’argent scintillant au sourire : où qu’il passe, sa silhouette détonne autant qu’elle fascine. À la fois chanteur, dessinateur, performeur, chorégraphe et comédien, il place son corps au centre d’une recherche plastique, esthétique et identitaire. Avec sa dernière création pour la scène, Uccello, Uccellacci & The Birds, il condense, hybridant avec malice histoire de l’art classique et culture pop-rock, les filiations iconographiques qui traversent son œuvre.

Les spectateurs sont accueillis par un capharnaüm de chants d’oiseaux : le ton est donné, nous pénétrons dans la volière fantasmatique de Jean-Luc Verna. En fond de scène, un double rideau de velours noir constellé de perles et de strass scintille sous les néons, rappelant Half Knight, pièce maîtresse de son exposition « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? — Non » actuellement au MAC VAL. De ce ciel de nuit étoilé surgissent les créatures incarnées de l’imaginaire vernien. Étonnamment en retrait, on ne le verra que fugitivement, Verna laisse toute la lumière à deux interprètes sublimes, Loren Palmer (coiffée d’une perruque noire évoquant Siouxie Sioux) et Benjamin Bertrand.

Entièrement nus sous une lumière crue, les deux danseurs déploient un répertoire de poses empruntées aux canons antiques, religieux ou maniéristes : Adam, Christ, Apollon… Mais les références se déforment, accélèrent, se disloquent sous l’impulsion d’une bande-son où alternent la musique abrasive de Peter Rehberg et la voix rauque de Béatrice Dalle, égrenant une histoire d’amour en répondeur téléphonique. Au fil du temps, l’iconographie savante se mêle à une physicalité brute, et le catalogue des postures classiques se trouble.

Le dernier tableau prend des allures d’orgie païenne. Surgissent alors des danseurs amateurs ou semi-professionnels, corps tatoués, maquillés, percés, harnachés de cuir. Certains, comme François Sagat, viennent brouiller la solennité initiale pour déployer une bacchanale débridée, carnavalesque, plus grotesque qu’érotique.Tous rejouent, dans un chaos jubilatoire, les poses académiques, inversant les codes de la statuaire antique dans une parade exubérante de noctambules échappés d’un club underground.

En regard de l’œuvre plastique de Jean-Luc Verna, cette pièce prolonge ses expérimentations photographiques : depuis les années 2000, il se met en scène, nu, dans des autoportraits où il revisite figures classiques et icônes pop, Degas avec Nina Hagen, Goya avec Freddy Mercury, ou Nijinski avec Lux Interior. Avec Uccello, Uccellacci & The Birds, Verna tente d’incarner les spectres d’un passé encore incandescent. Mais malgré ses fulgurances, l’œuvre, qui vient d’être créée à la Ménagerie de verre, peine encore à atteindre l’intensité et la maturité d’une pièce pleinement aboutie.

Vu à la Ménagerie de verre. Photo © Charly Gosp.