Photo matthieu barbin totemic studies cpierre andreotti

Totemic Studies, Matthieu Barbin

Par François Maurisse

Publié le 28 mai 2018

Performeur, danseur et maintenant chorégraphe, Matthieu Barbin est un habitué des plateaux, qu’il arpente notamment aux côtés de Boris Charmatz, Liz Santoro et Pierre Godard, ou Jonathan Drillet et Marlene Saldana. Après une première création en collaboration avec SMITH et Victoria Lukas dans le cadre du dernier festival New Settings de la Fondation d’entreprise Hermès, il s’intéresse aujourd’hui à la notion de totem dans Totemic Studies, présenté au CND de Pantin dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint Denis.

Comment se réaliser dans un monde en train de s’auto-détruire ? Ce n’est pas vraiment la question de départ de Totemic Studies, mais plutôt son fondement latent. Nourrie de discours érudits critiques, philosophiques, psychanalytiques, anthropologiques, la performance fait le pari d’imbriquer un texte, écrit, pensé et repensé (signé Jonathan Drillet) avec une soupe de gestes, comme un flot ininterrompu de mouvements constamment animé par la marche, tantôt piétinante, tantôt véloce. Que faire, alors, dans le cadre de la représentation ? « Une idée, un concept, un spectacle ». Avec une certaine violence, dans l’essoufflement, Matthieu Barbin nous jette son corps en pâture dans un Ecce Homo déchirant, s’entourant d’un amoncellement d’objets pneumatiques érectiles figurant un entrejambe, une main, une jambe, un phallus, comment autant de totems à manipuler et à activer.

Mais il n’y a pas de totems sans tabous. Le chorégraphe ne semble pas pouvoir échapper à l’érotisation de son propre corps, invitant, en ronronnant, les spectateurs à le caresser. Cette assomption du désir érotique se termine contre toute attente en une acmé soupirante, lors d’une scène de « phallophorie » toute en mollesse, exhibition d’un sexe encore à demi-caché par les vêtements. Après avoir dégonflé chacun des totems qu’il avait érigé autour de lui, de façon protocolaire, Mathieu Barbin étend les formes plates sur le pied de son micro, comme on étendrait des peaux pour les sécher, une multitude de mues pour une multitude d’idées, de questionnements, de hantises.

Ici, le désir d’auto-réalisation cherche à s’accomplir dans le dispositif spectaculaire, dans le partage de soi avec le collectif, dans les zones d’ombre de « cercles boroméens » confondant les instances de l’appareil psychique, dans une danse effrénée dévoilant les différentes strates d’une pensée en perpétuel renoncement et renouvellement. Après les cultural, les gender, les queer, les ecological, le chorégraphe invente les totemic studies, comme pour pointer l’impossibilité du choix d’une chapelle, comme pour mettre en exergue la complexité des réseaux d’idées. Alors sans doute il n’y a que dans l’affranchissement des formes déjà connues que l’accomplissement de soi n’est possible, par la poésie éclatante, qui permet à la fois de lier et d’échapper. Ici l’association libre des idées frictionne les images entre elles, croisant le seppuku laborieux de Mishima et le récit d’un syndrome de Stendhal quelque part en Grèce, dans le tissage délicat d’une mythologie inédite toute personnelle et toute émancipatrice. « Et se réaliser c’est très réconfortant. »

Vu au Centre National de la Danse dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint Denis. Conception, chorégraphie et interprétation Matthieu Barbin. Textes Jonathan Drillet. Espaces, objets scéniques Célia Gondol, Alicia Zaton et Matthieu Barbin. Lumière Fabrice Ollivier, Edit et mix Fany Corral et Florent Frossard. Costumes Marine Peyraud. Photo © Pierre Andreotti.