Photo Rosa Frank

Je me souviens, Raimund Hoghe

Par François Maurisse

Publié le 4 juillet 2017

Journaliste, écrivain puis dramaturge de la célèbre Pina Bausch au Tanztheater de Wuppertal, Raimund Hoghe mène, depuis Jeter son corps dans la bataille, la première pièce dans laquelle il danse en 2000, une recherche de chorégraphe. Confrontant son propre corps handicapé (sa colonne vertébrale dessinant une bosse dans son dos) à la poésie d’images symboliques de la beauté et de ses canons, il n’hésite pas à se mettre en scène et se dévêtir. Après avoir créé une série de pièces mettant en scène d’autres danseurs (L’après-midi (2008), Si je meurs laissez le balcon ouvert (2010, en hommage à Dominique Bagouet), ou encore Songs for Takashi (2015)), ces deux dernières pièces présentées à Paris, Lettere amorose, 1999-2017 et Je me souviens sont des recréations où il évolue seul, la plupart du temps, au plateau. Dans le cadre de Camping au Centre National de la Danse à Pantin, il présente une version inédite de Je me souviens, création in-situ se nourrissant d’un large éventail de souvenirs, personnels ou spectaculaires.

Tout le plateau est recouvert d’une fine couche de sable. Raimund Hoghe entre lentement et en fait le tour d’une démarche sereine, effleurant les murs de sa main à la fois pour percevoir les échos des évènements passés et pour se soutenir, s’encourager. Soudain il s’allonge sur le sable et commence l’évocation de souvenirs personnels parlant de son dos, des traitements reçus contre sa maladie. Tout au long de la pièce à chaque nouvelle chanson qui démarre, c’est un nouveau tableau qui prend place dans l’espace vierge du plateau. Par deux fois Emmanuel Eggermont, « artiste invité » dans cette nouvelle version de la pièce, confronte la droiture de son élégante stature à la rondeur du corps de Raimund.

Dans un premier temps, il fait appel à des figures d’exilés, arpentant l’espace : il évoque la photographie du petit Aylan Kurdi, 3 ans, échoué sur une plage turque après avoir quitté Kobané avec sa famille, ou encore la lettre que portaient Koita Yaguine et Tounkara Fode, deux jeunes guinéens retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion reliant Conakry à Bruxelles, en 1999. Dans un deuxième temps, ce sont plutôt des figures féminines issues de la culture populaires (Maria Callas, Judy Garland ou Audrey Hepburn) qui peuplent les souvenirs du chorégraphe. Si les transitions sont périlleuses, les différents tableaux peints par Raimund Hoghe sont motivés par le même désir de rendre hommage aux images et aux personnalités qui l’ont fasciné et façonné toute sa vie.

À chaque nouveau souvenir ou presque c’est un changement de costume, une nouvelle incarnation. Dans la plus grande délicatesse, Raimund Hoghe revêt un gros nœud vintage, des lunettes de soleil et utilise une fleur en guise de cigarette au son de l’iconique Moon River, extrait de Breakfast at Tiffany’s. Sans vouloir singer une attitude, c’est avec très peu d’artifices que le fameux portrait photographique d’Audrey Hepburn est figuré. Ritualisée, la pratique chorégraphique de Raimund Hoghe, sous tendue d’une cohérence dramaturgique à toute épreuve, lui permet d’opérer une transformation de son corps sur le plateau, tour à tour glamour, lyrique ou recueilli. La même image est répétée plusieurs fois le temps d’une chanson, sans doute pour tenter d’en épuiser la symbolique et d’en renforcer les affects.

Dans une lenteur et une douceur caractéristiques, une atmosphère lyrique et protocolaire, Je me souviens dresse le portrait du chorégraphe et de ses influences et semble agir de façon thérapeutique pour l’auteur. Convoquer toutes ces images, qu’elles soient rassurantes ou insupportables, c’est une façon pour lui de s’en emparer, comme pour pouvoir vivre avec en les glissant près de son cœur.

Vu au Centre National de la Danse à Pantin. Concept, chorégraphie et danse Raimund Hoghe. Photo © Rosa Frank.