Photo Sylvie Ann Paré

Henri Michaux : Mouvements, Marie Chouinard

Par Céline Gauthier

Publié le 11 mars 2016

Avec Henri Michaux : Mouvements, Marie Chouinard s’attache à donner corps au recueil de dessins du poète et artiste d’origine belge. Une lecture chorégraphique auquel l’ouvrage se prête aisément, constitué d’une quarantaine de feuillets illustrés à l’encre de Chine et d’un unique poème. Inventive, la chorégraphe puise dans le dessin l’énergie du geste, et la danse trouve sa place dans l’écart qui persiste entre la fluidité des traits de Michaux et la gestuelle anguleuse de Chouinard.

Les pages du recueil sont projetées en fond de scène ; dessins imposants et mutiques sur la trame granuleuse du papier qui transparait à l’écran et donne à l’image l’amorce du rythme : la danseuse les observe puis mêle sa longue silhouette aux traits d’encre. Avec ses premiers gestes elle semble s’abstraire, littéralement se détacher de la page pour transcrire les figures sur la scène. Elle trouve dans l’encre de Michaux le sursaut propice au mouvement, et incarne par le geste les hachures et les traits de plume. Les dessins du poète offrent au regard des esquisses abstraites de silhouettes, et Chouinard y adjoint le rythme, la tension dramatique qui donne épaisseur et relief à l’à-plat des dessins ; les visages expressifs des danseurs offrent au regard l’amorce d’un paysage intérieur.

La danseuse se dissimule sous le tapis de scène pour réciter avec emphase le poème qui constitue le point d’orgue du recueil, lui-même illustré à l’écran et par le geste d’un second interprète : il invite notre regard tour à tour à se porter sur les dessins, les corps et la parole. Au fil des pages s’égrène une succession de traits de plume, soutenue par la danse qui transmue le vide, le blanc entre chaque dessin par la gestuelle élancée et anguleuse de la troupe, dynamique jusqu’aux cheveux qui fouettent l’air au rythme d’une musique à la pulsation répétitive, qui élude la grâce onirique des dessins.

Michaux lui-même trace avec l’encre des gestes imaginaires, et peu à peu ses dessins laissent entrevoir des figures presque humaines. La danse alors s’étoffe de duos et d’instants collectifs où les corps semblent éprouver les multiples facettes d’un même mouvement, d’un unique trait de plume qui se dédouble : le geste est progressivement décomposé jusqu’à l’abolir tout à fait à la lumière d’un stroboscope qui assèche le geste jusqu’au silence. Pour donner corps au trait de Michaux, Marie Chouinard fait le pari d’un unique procédé qu’elle décline tout au long de la pièce. Une chorégraphie parfois aride, heureusement portée par un rythme soutenu, une tension continuelle pour assurer le dialogue insolite du geste et de la plume.

Vu à la Maison des arts de Créteil. Direction artistique, chorégraphie, éclairage, scénographie, coiffure et costumes Marie Chouinard. Musique Louis Dufort. Photo Sylvie-Ann Paré.