Par Wilson Le Personnic
Publié le 7 décembre 2016
Premier opus d’un triptyque chorégraphique autour de la figure du solo, De la Force Exercée fait suite à Haltérophile (2015), première création du danseur et chorégraphe français Lorenzo de Angelis. Cette précédente pièce, qui exposait en filigrane la notion d’interprète et d’auteur au sein d’un environnement instable, le plateau de théâtre, mettait déjà en tension le lien entre danseur et spectateur à travers une série de soli personnalisés et éphémères adressés à un unique regard.
Une odeur de café accueille le spectateur à l’entrée de la salle. Au centre d’un dispositif tri-frontal, une grande bâche noire est semée de tas de poudre énigmatiques (des pigments ? de la terre ? des céréales ?), mêlés à divers objets du quotidien : téléphone, serviette, bouteilles opaques. Lorenzo de Angelis, un petit sac en main, saupoudre le sol de granules, amorçant un étrange rituel d’ouverture. Sa présence, discrète mais constante, jalonnera toute la performance, ponctuant l’espace de brèves interventions tandis que son interprète poursuivra seul la traversée. Habillé de noir, silhouette sèche et effacée, il contraste avec la masse sculpturale de Julien Hang, bodybuilder en simple caleçon noir, déjà aperçu à l’entrée déchirant les billets de la soirée.
Commence alors, dans le silence, une lente série de mouvements où la plastique de l’interprète est patiemment sculptée par le geste. Les bras esquissent des rotations dans l’air, les muscles s’embrasent sous la tension progressive ; l’expiration devient haletante, audible. À la fougue impulsive d’Haltérophile, De la Force Exercée substitue une atmosphère contemplative, presque cérémonielle. Le chorégraphe surgit brièvement pour souffler une poudre (du poivre ?) vers le visage du bodybuilder, déclenchant une violente toux, qui s’accentue dans une danse étrange d’éloignement et de rapprochement.
Sous une lumière crue, Lorenzo de Angelis vide alors successivement le contenu des bouteilles dans la bouche offerte de Julien Hang. Un flot de liquides argentés, blancs, noirs, bleus, dorés ruisselle sur la peau tendue, couvrant peu à peu son torse, son cou, ses abdominaux. Le danseur, maculé, puise à mains pleines dans les tas coniques du sol et projette sur lui-même poudres et matières hétéroclites. Armé d’un téléphone, il filme alors au plus près la surface de son propre corps, documentant la métamorphose en cours. Dans un dernier geste, une bouteille d’eau est vidée entièrement sur sa tête, révélant sous les faux tas des éclats de pigments et de paillettes, tandis que de grosses éponges dégoulinantes de couleur se dévoilent. Le chorégraphe intervient une ultime fois : une pluie de confettis, de papiers déchirés, de pigments vifs, clôt ce rituel, dans un écho festif à la fête indienne de Holi.
Mystérieuse cérémonie de body(building)painting, De la Force Exercée explore avec acuité les tensions inhérentes au spectacle vivant : voir et être vu, dominer et être soumis, consentir ou résister. Dans ce dispositif nu, Lorenzo de Angelis prolonge les intuitions d’Haltérophile et poursuit son travail sensible autour du pouvoir exercé sur et par le corps, tissant une réflexion troublante sur la performance, l’exposition et la vulnérabilité physique.
Vu à la Ménagerie de verre. Photo © Lorenzo De Angelis.
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