Photo Michel Wiart

La Figure du gisant, Compagnie Pernette

Par Quentin Thirionet

Publié le 17 août 2015

La nuit ample, les corps bougent. S’éveillent. Le son, le souffle, tout se défie de ce qui l’inanimait. Dès lors la vie, les rites, la guerre et quelques voix : « j’aimerais les silences de mon corps, si lent et si grotesque ». L’âme ?

Avec la Figure du Gisant, Nathalie Pernette, chorégraphe magicienne, invoque un endroit de transfiguration hors du temps. Invité à visiter cet espace-matière révélé, on découvre une cérémonie grave et incantatoire où les corps se descellent d’eux-mêmes. Le public déambule au fil des épisodes de ce rite initiatique, guidé avec bienveillance par le son et la danse au sein du lieu investi par la compagnie pour l’occasion. Visite guidée, donc, où l’intimidation face à l’occulte laisse rapidement place à la fascination pour ces nouveaux paysages offerts par l’exploration dansée du geste et de l’émotion. On parcourt ainsi une belle étendue d’histoire en 7 étapes, installées dans différents espaces.

Histoire de chairs éveillées, d’abord, de presque-nécromancie. Des golems étendus sur le sol sont animés par le guide fantomatique qui nous avait tantôt permis de pénétrer dans l’enceinte du temple. L’atmosphère, d’un mystique séculaire, est envahie d’une nappe musicale profonde qui tiendra quasiment le ton sans interruption jusqu’aux saluts. L’aura dégagée par le lieu et ses habitants suffisait pourtant à nous emmener loin, trop loin pour savoir où, et quand. Les gisants ne gisant plus, les corps déliés nous emmènent vers d’autres rivages où les langues, enregistrées, se libèrent à leurs tours. Elles nous parlent de leurs histoires en bribes poétiques et les danseurs réagissent à ces émotions qui, exprimées, viennent de poindre. La scénographie de Daniel Pernette (le père) apparaît alors au cours du voyage. Les apparats de cette religion inconnue sont d’une imparable beauté empreinte de magie, habités par quelques esprits complices aussi vieux que le monde. Figures blafardes, sculptures ethniques de l’Onirie parmi lesquelles se confondent quelques corps bien vivants. Puis la célébration tourne à l’appel. Les danseurs adoptent une attitude plus martiale, puissante, cherchant la force d’un cri -ou le cri d’une force – avant de s’essayer plus loin à la visitation intérieure. Les voix reprennent leurs cours, délivrant leurs histoires personnelles. Enfin, la chair s’attendrit en s’ouvrant à l’autre, au public. Inter-action dansée avec quelques spectateurs, les corps se rencontrent et les secrets légués. Le culte se termine ainsi, après tant de transports poétiques, pour que nous puissions les perpétuer à notre tour. Pour le spectateur, devenu participant puisque partie intégrante de la procession, tout s’efface sauf la joie profonde et primitive d’être placé au cœur de cette liturgie merveilleuse.

Apôtres d’un langage dansé réunissant le souffle, la voix et l’émotion, les danseurs de la Compagnie Pernette nous plongent littéralement dans les arcanes d’un ordre monastique où le corps statuaire fait figure de religion. Dans ce canevas fantastique, le style propre à la chorégraphe se tisse à merveille, tout en glissement et saccades, en voix et en sang où chaque trait de danse se raconte une fable.

Vu au festival Chalon dans la rue. Chorégraphie Nathalie Pernette. Scénographie Daniel Pernette. Musique Franck Gervais. Photo Michel Wiart.