Photo David Geselson

Eau sauvage, Julien Fišera / Compagnie espace commun

Par Margot Baffet

Publié le 30 avril 2015

Aussi fugitifs que persistants, certains parfums flottent dans notre esprit aussi longtemps que le souvenir des personnes chères qui les ont portés. Ce sont précisément les fragrances de ce célèbre parfum Dior qui ont accompagné l’enfance et l’adolescence d’une adulte sur le point de vivre à son tour le rôle de parent. Cette eau de parfum portée par son père perdure dans sa mémoire autant que l’omniprésence de sa voix qui résonne dans sa conscience.

Auteure du texte qui a initié la conception du spectacle, Valérie Mréjen dépeint avec humour ce lien d’affiliation si insaisissable qui unit une fille à son père. Dans l’adaptation de la compagnie Espace Commun menée par Julien Fišera, cette relation est matérialisée d’une part par le monologue de la fille relatant les paroles quotidiennes de son père, et d’autre part par l’étonnant dispositif scénique mis en place. Aux moyens de collaborations pluridisciplinaires, le metteur en scène inscrit cette pièce dans une recherche d’écriture théâtrale contemporaine invitant le spectateur dans l’intimité d’une introspection aussi universelle qu’intemporelle.

À travers un décor vidéo atmosphérique et contemplatif inspiré de tableaux de la renaissance, on entrevoit toutes les fragilités de la paternité. Le flux verbal quotidien du père dont la fille est porte-parole sur scène laisse entendre un homme qui tente tant bien que mal d’entrer en communication avec l’enfant qu’il voit grandir, alternant les reproches et les petites attentions. La présence du père est signifiée à travers l’image d’une fille qui aimerait maintenant s’incarner dans cette relation de filiation, en attendant à son tour un enfant.

L’unique comédienne, Bénédicte Cerutti, évolue dans l’encadrement lumineux d’une petite cellule carrée animée par le dispositif vidéo. Il s’agit de la rediffusion instantanée de son image, travaillée par un effet pictural de larsen sur le cyclorama installé en arrière-plan. Les tons neutres projetés se nuancent peu à peu de couleurs plus acidulées au fur et à mesure du monologue, évoquant, à l’image d’un parfum, l’état changeant de la relation de parenté. L’effet crée est celui d’une peinture contemporaine interactive accompagnant la présence de la comédienne. Ce très beau parti-pris visuel marque la pièce avec toute la poésie et la symbolique évanescente qu’il apporte.

Au-delà de son esthétisme séduisant, cette pièce est une belle façon d’adapter la charge émotionnelle du sujet que soulève Valérie Mréjen dans son écriture. Cette tension entre l’apparente banalité du quotidien des deux personnages et les perturbations de leur vie intérieure est très joliment retranscrite par la mise en scène. Faute de pouvoir identifier les contours abstraits de cette relation, le spectateur est invité à suivre la température de couleur changeante de leurs sentiments. Dans les brumes colorées de cette Eau Sauvage, on distingue pourtant un amour certain et pérenne.

Vu au Théâtre Les Ateliers de Lyon. Mise en scène Julien Fišera, avec Bénédicte Cerutti. Espace Virginie Mira, dispositif et régie vidéo Jérémie Scheidler, lumières Kelig Le Bars, costumes Benjamin Moreau, musique Alexandre Meyer, régie générale et régie lumières arNo Seghiri. Le texte est publié aux Editions Allia, Paris. Photo de David Geselson.