Photo Alexis Komenda

Soirée John & Merce / Festival Bien Faits ! à Micadanses

Par Céline Gauthier

Publié le 7 octobre 2016

Dans le cadre du festival Bien Faits ! organisé par Micadanses, Nicolas Maloufi, Bettina Masson et Ashley Chen ont proposés chacun une variation autour du duo mythique formé par John Cage et Merce Cunningham. Une soirée contrastée et stimulante, de bonne augure pour la saison qui va suivre.

Quelque part au dessus du silence, un titre énigmatique à l’image de la Lecture on Nothing de Cage qui en fut le prétexte. Un duo vocal et chorégraphique tout en sobriété et en retenue, qui sollicité l’attention constante du spectateur pour en saisir les détails les plus ténus. La lectrice rejoint son pupitre, chausse ses lunettes et anone les fragments de la Lecture d’une voix rauque et suave, un peu étouffée par l’écho du micro. Le danseur près d’elle esquisse quelques gestes souples et indolents, le regard lointain, pénétré par les digressions de Cage : comme pour mieux nous en convaincre il chuchote quelquefois des bribes du texte. La voix monocorde de la lectrice et les gestes répétitifs du danseur se conjuguent pour susciter la torpeur qui nous envahit, dissipée heureusement par quelques épiphanies où les gestes du danseur semblent engager le dialogue : la lectrice détourne la tête du pupitre et suspend brièvement sa lecture ; leurs yeux enfin se croisent.

Le danseur paraît évoluer au rythme d’une litanie intérieure, inaudible pour nous jusqu’à ce qu’éclatent dans le studio les premières notes d’une cantate de Bach : la conférence s’interrompt et tous deux fredonnent la mélodie : leurs voix s’entremêlent et l’amplitude de leurs gestes se déploie jusqu’au sol. La lectrice finit par abandonner son pupitre et rejoint le danseur. Les mots de Cage lui semblent adressés tandis qu’elle s’allonge auprès de lui : sa voix se distord et le souffle du danseur bruisse dans les enceintes. Entre eux naît alors les bribes d’un duo élégant où tous deux s’enlacent et s’unissent d’un geste délicat, presque sensuel. La pièce trouve enfin son rythme alors qu’ils se blottissent l’un contre l’autre et achèvent la lecture à deux voix. Si la conférence de Cage s’offre à chaque mise en scène sous un jour nouveau, Quelque part… donne aussi à voir la cohabitation de deux temporalités qui se défient et peinent à se rencontrer : une discordance que n’aurait pas reniée le maître, très certainement.

Chance, Space and Time, trois termes d’une partition en guise de clin d’œil aux thèmes chers à Merce Cunningham. Le chorégraphe Ashley Chen et ses deux danseurs s’emparent de ses procédés d’écriture scénique pour faire s’entrechoquer les composantes gestuelles, lumineuses et sonores de la danse : une émulation salutaire où le mouvement éclate de l’association d’éléments disparates. Le résultat est expérimental à plus d’un titre, excessif quelquefois mais toujours réjouissant, porté par l’enthousiasme de ses interprètes et leurs tenues bariolées.

Le ton de la pièce est donné par la musique, tonitruante dès les premières notes sur lesquelles les danseurs s’élancent en frétillant. Autour d’eux la scène est nue mais cependant toujours habitée par leurs courses, habillée par les obliques qui la traversent.  Les danseurs surgissent puis se retirent, se croisent et s’évitent pour toujours mieux se rencontrer. L’un contre l’autre ils se palpent et se supportent. Leur habileté tout autant que leur plaisir à se mouvoir est manifeste : ils tournoient avec aisance et atterrissent avec une feinte lourdeur ; ils esquissent un sourire et la salle se gausse.

Les séquences dansées sont rejouées à loisir, portées par une écriture toujours fine et précise pour composer des trios ciselés ponctués d’un trait d’humour. Se tissent de nombreux instants de grâce, mises en scènes subtiles lorsque soudain leurs mains tapotées contre le sol cadencent les clapotements de la musique. Au rock endiablé succède les accords profonds d’une contrebasse : les fragments musicaux eux aussi se succèdent sur un rythme effréné jusqu’à ce que parfois l’oreille sature d’être sans cesse sollicitée. La tension musicale s’apaise alors dans une relative ataraxie corporelle, sans doute le reflet d’un intense travail somatique qui donne à la pièce tout le lustre que cet audacieux projet mérite.

Soirée John & Merce, vu à Micadanses, dans le cadre du festival Bien Faits ! Photo Alexis Komenda.