Par Wilson Le Personnic
Publié le 10 octobre 2017
Après avoir réalisé une série de performances où les corps s’effaçaient au profit de l’objet et de l’espace, Mette Ingvartsen a amorcé en 2014 un nouveau cycle intitulé The Red Pieces, centré sur la sexualité et la représentation contemporaine des corps. De cette recherche surgit le solo 69 Positions, conférence performée nue interrogeant les héritages des années 1960. Puis, 7 Pleasures en 2015, pièce pour une douzaine d’interprètes, explore les pratiques sexuelles contemporaines par l’utilisation d’objets et d’accessoires. En revisitant aujourd’hui to come (2005) dans une version élargie, to come (extended), Ingvartsen poursuit son travail de déconstruction du corps érotique, annonçant son prochain solo, 21 Pornographies.
Sur scène, quinze interprètes, dix de plus qu’à l’origine, évoluent dans un espace uniformément blanc, vêtus de justaucorps zentai bleu, matière élastique qui efface toute distinction sexuelle ou identitaire. Le silence oppressant qui règne amplifie l’effet clinique de ces corps anonymes, disposés en frises successives de poses explicitement pornographiques. Paradoxalement, l’accumulation de signes sexuels se heurte à l’abstraction plastique de l’ensemble, évoquant des sculptures de Daniel Firman autant que des instantanés photographiques : l’instant du geste, sa mise en scène et sa mémoire fossilisée dans le regard.
Le trouble vient de ce jeu de permutation constant : les rôles actifs et passifs s’inversent, les duos se font et se défont, créant un chaos réglé où le regard du spectateur est contraint d’opérer ses propres montages, ses propres narrations. À ce stade, to come (extended) reprend également l’idée du « chœur orgasmique » développée dans 69 Positions : face au public, les interprètes, cette fois intégralement nus, produisent des soupirs, des râles et des cris de plaisir en synchronisation, atteignant ensemble une sorte d’orgasme collectif, théâtral et burlesque.
Mais to come (extended) ne s’arrête pas là. En un retournement jouissif, les interprètes abandonnent la froideur du dispositif pour se lancer, baskets blanches aux pieds, dans un lindy hop effervescent sur Sing, Sing, Sing de Benny Goodman. Ce final, où la nudité n’est plus sexualisée mais dynamisée par l’élan collectif et la joie de danser, renverse le regard : du pornographique au vital, du fragmentaire au communautaire. Comme dans 7 Pleasures, la chorégraphe déjoue toute lecture linéaire du désir.
La multiplication des interprètes et l’entrelacement incessant des corps diluent toute individualité : to come (extended) capte ainsi une réalité contemporaine, celle d’un désir de plus en plus réseauté, diffracté, volatile, à l’image des pratiques de consommation affective sur Tinder ou les réseaux sociaux. En prolongeant les recherches entamées avec 69 Positions et 7 Pleasures, cette relecture de to come confirme la place singulière de Mette Ingvartsen dans le paysage chorégraphique contemporain, capable de faire du sexe un puissant laboratoire critique du corps social.
Vu au Centre Pompidou. Photo © Jens Sethzman.
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